Vas-y, Papa
Mon
père a eu quatre-vingt ans l’été dernier. Il est encore en bonne forme, très
tonique intellectuellement comme physiquement. Il suit activement ce qui se
passe dans ce qui était sa spécialité professionnelle et écrit des articles de
doctrine ou de jurisprudence. Dans quelques jours il donne à un aréopage de
profs de droit une conférence d’hommage à un juriste qui fut un de ses maîtres
puis part le lendemain au Maroc avec son club de bridge, il accompagne peu
après ma sœur et mon petit neveu à la montagne, ensuite il a envie de faire au
mois de mars un voyage avec randonnées dans les îles.
Il
m’a montré le catalogue du voyagiste où sont décrits les étapes et le
dénivelées de chaque jour, il m’a demandé : « est-ce que tu crois que
je peux faire ce voyage, est-ce que ça ne va pas être trop dur pour
moi ? » Lui qui n’était vraiment pas sportif dans sa jeunesse s’est
découvert à l’âge mur, un goût très fort pour la grande randonnée et pour la
montagne. Il a fait deux ou trois trekkings au Népal après sa retraite et
l’ascension du Mont Blanc à soixante-cinq ans. Mais c’est vrai qu’il marche
plus lentement maintenant, on s’en rend compte lorsqu’il vient avec nous dans
les petites randos que l’on fait avec notre bande de copains certains
dimanches, il se fatigue plus vite, a moins de souplesse aussi pour s’adapter à
des changements de ses habitudes, il s’inquiète plus facilement d’un peu tout.
Ça me paraît un peu dur en effet ce voyage, certaines étapes sont longues et
grimpent beaucoup, il va se retrouver avec des gens bien plus jeunes et plus
rapides, il risque de traîner la patte derrière, d’un autre côté ce n’est pas
une randonnée itinérante, les conditions d’hébergement sont bonnes, à l’hôtel,
ils n’y aura pas en plus de difficultés liés à un confort trop précaire… Je ne
sais trop que lui conseiller.
Il
me dit « Tu comprends ça va devenir de plus en plus difficile pour moi ce
genre de voyage, il ne faut pas que je tarde trop, peut-être que c’est la
dernière année où je peux faire ça, il me semble que maintenant chaque année
compte double… »
Bien
sûr il a très envie de le faire ce voyage. En fait je me demande s’il ne
sollicite pas mon avis pour se faire rassurer, pour être confirmé dans son
envie. Pourquoi ai-je hésité un instant ? Bien sûr, Papa, vas-y, peut-être
que tu traîneras un peu la patte, peut-être que tu ne feras pas toutes les
randos, mais tu es en bonne santé, tu as le souffle et le cœur apparemment
solides, vas-y évidemment…
Vas-y
toi mais en y réfléchissant c’est à moi aussi qu’il faut que je me le
dise : vas-y toi aussi, va à ce
que t’offre la vie à tous points de vue, sans mettre sans arrêt en avant les
objections, les risques, les dangers…