En ligne ou hors ligne?
Vendredi
soir minuit : je suis dans le train qui nous ramène de Lyon. Il a neigé
assez fortement, on a poireauté à la gare en se gelant en attendant les
annonces de retard, une demi-haure puis une heure, finalement ce sera une heure
et demi… En soi ce n’est pas très grave mais c’est incroyable à quel point
quelques flocons de neige désorganisent tout, car ce n’est pas une tempête
violente, ce n’est qu’un temps d’hiver somme toute banal, mais tous les
réseaux, tous les systèmes fonctionnent en tension maximum, près de la
saturation, le moindre élément de désorganisation a alors de lourdes
conséquences en chaîne, c’est un signe parmi d’autres de la fragilité de nos sociétés.
Philippe
s’est assoupi, je sors mon petit carnet et gribouille mes impressions de cette
journée. On est venu parler de l’expression personnelle en ligne, d’abord en
début d’après-midi à la bibliothèque universitaire de l’ENS-SH, puis à la
bibliothèque municipale, lui a parlé de l’expérience des pionniers tel qu’il a
pu l’analyser au moment de son enquête en 1999 pour son bouquin « Cher
écran », moi j’ai essayé de parler de ce qui se passe aujourd'hui. Le
public était plutôt modeste en nombre mais ça s’est bien passé. J’ai
l’impression que ce qu’on a raconté a intéressé les gens. Je me suis senti
parfaitement à l’aise, parfaitement dans mon élément alors que c’était la
première fois que je faisais ce genre de prestation dans un domaine comme
celui-là. Bien sûr il n’y avait pas de raison que ça se passe mal sur un sujet
qui me tient à cœur, mais il n’empêche la veille avant de partir j’étais un peu
tendu, me demandant si je saurais faire. Et puis à l’avance j’ai toujours ce
sentiment d’être « à côté » dans cette activité, j’ai été obligé de
bousculer mon emploi du temps professionnel pour me libérer toute la journée du
vendredi, ça me crée toujours un vague malaise et me culpabilise un peu (ce qui
est idiot parce que je me débrouille toujours pour faire quand même ce que j’ai
à faire). Par contre en faisant cette intervention, une fois que j’ai été là,
je ne me sentais pas du tout « à côté », je me suis senti au
contraire « chez moi », bien plus que quand je fais des topos dans
mon domaine professionnel et c’est ça qui compte finalement. Après la séance à
la bibliothèque municipale on a pris un pot avec les animatrices sympathiques
du zazieweb, ce qui m’a donné envie de découvrir d’un peu plus près ce site que
j’avais croisé sans plus jusque là.
Là
je flotte un peu, j’ai sommeil, j’ai vaguement lu, vaguement écrit, ces mots
là, avec en toile de fond l’interrogation sur ce que je vais faire, les mettre
en ligne ou pas. Ils font totalement écho à ce dont j’ai parlé dans l’après
midi avec mes interlocuteurs, je suis moi-même personnellement au cœur de
certaines des contradictions de la pratique diariste en ligne, je les ressens
d’autant plus fort ce soir…
*
Aujourd'hui
samedi l’ordinateur a commencé à me faire des misères. Un signe ?
Impossible de me connecter. Ça a duré toute la matinée, je n’ai pas pu aller
voir mon courrier ni mes diaristes habituels, ça m’a agacé, ça c’est débloqué
cet après-midi heureusement. (Comment ? Mystère, ça avait l’air de venir
de ma machine et pas du réseau, ça m’agace beaucoup quand je ne comprends pas
l’origine d’un dysfonctionnement, mes fils me disent de passer mon chemin et de
ne pas m’interroger dès lors que ça remarche, ils ont raison sûrement, il ne
faut pas vouloir percer les mystères des bizarrerie informatiques…)
Il
fait froid et gris, pas très tonifiant, j’ai fort peu dormi, je suis un peu
out, la journée a été plutôt cocooning mais pas du cocooning positif et
créatif, j’ai pas mal traîné et perdu de temps. Et je suis gêné aussi par mes
interrogations sur la mise en ligne ou pas de l’évocation de mes activités
d’hier qui recouvrent en réalité une interrogation plus profonde sur
l’évolution de ce journal.
Il
y a un paradoxe parce que ce qui a trait l’écriture ou à mes activités apaïstes
fait partie du domaine qui peut le plus facilement se dire à l’extérieur (et
qui de surcroît a du sens à l’être). Mais évoquer ces activités dans un milieu
où je suis aussi connu sous mon véritable nom c’est casser à grande vitesse mon
anonymat vis à vis de personnes de plus en plus nombreuses. Mais pourquoi pas
en fait ? Cela implique d’éliminer certaines entrées pouvant poser
problème soit sur le plan professionnel soit sur le plan relationnel et de les
garder pour mon journal hors-ligne. Mais ce mouvement est déjà largement entamé
depuis longtemps, depuis le début de Valclair en ligne en fait, d’abord
inconsciemment puis de plus en plus consciemment, il s’est accéléré lorsque je
suis passé au blog en octobre. Cela ne veut pas dire pour autant passer à une
écriture aseptisée ou désaffectivée, cela ne veut pas dire, parlant de livres
ou de films, faire de la « critique » mais bien évoquer les échos que
ces œuvres produisent en soi, c’est bien parler de soi y compris dans des
aspects qui mettent en jeu de l’intime, c’est simplement en laisser de côté certains
aspects ou les aborder de façon générale ou allusive, ce qui n’empêche pas pour
autant les lecteurs de comprendre l’idée ou le sentiment que l’on veut y
mettre.
Cela
peut paraître curieux de dire ça surtout ces jours ci où l’éclatement de
l’affaire Garfieldd est précisément liée à une insuffisance de précautions pour
préserver l’anonymat. A moins de considérer que justement cet anonymat étant à
la longue quasi impossible, il ne faut pas tenter de le maintenir à tout prix,
qu’il faut du coup en faire son deuil, cesser les tortueuses acrobaties visant
à le maintenir, mais accepter en contrepartie d’autolimiter pour partie ce que
l’on raconte.
Mais
dans cette idée d’assumer pleinement le journal personnel je me demande s’il
n’y a pas aussi autre chose. Mes réticences jusque là ne tenaient peut-être pas
seulement à une éventuelle mise en danger objective sur un plan professionnel
ou relationnel. Elles avaient peut-être à voir aussi avec cette idée dont j’ai
du mal à me débarrasser au fond de moi qu’il y a quelquechose d’un peu louche à
s’adonner à l’écriture quand ce n’est pas son métier (et particulièrement à
l’écriture intime). Dans le monde social global tenir un journal reste une
activité perçue comme un peu douteuse (mais c’est aussi ça qui change avec
l’explosion de l’expression en ligne, ça banalise cette écriture des gens
ordinaires, ça la rend licite). Jusque là mes amis et mes relations, hors de
mes amis diaristes ou apaïstes naturellement, savent peu que je m’adonne à ce
genre d’activités, personne par exemple dans ma famille, à part mes très
proches, ceux qui vivant ici me voient passer des heures à écrire. Dans ce
choix éventuel de laisser filer l’anonymat, il y a quelquechose d’un
« coming out »…
J’écris
cela samedi soir, je crois que je vais publier, mais je tergiverse encore un
peu, je me laisse la nuit encore qui, comme chacun sait, porte conseil…
*
Dimanche
début d’après-midi. Il fait beau et pas trop froid. Ce matin j’ai été à la
piscine et là on va partir se balader et se faire une petite toile. Je me sens
énergisé…
Et
donc je me décide à publier. Il ne s’agira pas pour autant d’étaler mon nom
réel à tout va et j’éviterai naturellement d’associer mes deux identités dans
un même document (et je demande cette même discrétion à ceux qui me reconnaîtront).
Non je continuerai comme je fais, simplement en cessant de me compliquer la vie
avec des efforts tortueux de préservation de l’anonymat, je vais laisser aller
les choses…
*
Et
j’ai traîné encore. Là il est passé vingt et une heure. J’envoie…