"Plumes d'Ange"
Je
termine « Plumes d’Ange », le deuxième volet du travail
autobiographique entrepris par Martin Winckler après « Légendes »
dont j’avais rendu compte ici.
Ce
livre m’a un peu déçu. Je le trouve décidément trop étiré, plus de six cent
pages. Il aurait eu plus de force en étant moitié plus court. La reprise en
intégral d’interviews sur cassette, de lettres ou mails reçus, de textes plus
anciens est souvent fastidieuse. On comprend à quoi cela correspond, il y a la
volonté de faire entendre la voix d’Ange lui-même en donnant sa parole dans
toute son épaisseur avec ses longueurs, ses hésitations, ses redites, il y a la
volonté aussi de traquer au plus près le processus de construction de la
mémoire dont le livre est le produit. Certes. Mais du coup il y a des pages que
j’ai lues un peu en diagonale et ça je n’aime pas du tout, c’est signe que je
n’étais pas toujours accroché.
C’est
assez dans la façon d’écrire de Winckler qui aime écrire long, détaillé,
minutieux mais le processus de rédaction du livre contribue à accentuer cette
tendance. Ce texte a d’abord été conçu sous forme de feuilleton mis en ligne
sur le site de l’éditeur. Ce qui a d’ailleurs des aspects passionnants : des
interactions avec les lecteurs se font dont certains participent à l’avancée
même du livre en remettant en contact des membres éloignés de la famille, en
articulant sans cesse le présent du livre qui s’écrit avec le passé à faire
revivre. Tout ça donne un matériau d’une grande richesse qu’il aurait fallu
retravailler, élaguer, transformer pour aboutir à un livre plus concentré, plus
dense.
Cela
dit il y a beaucoup de richesse dans ce livre et globalement je l’ai lu avec
intérêt malgré mes réserves, avec émotion dans certaines pages. L’ensemble
d’abord est un bel et émouvant hommage au père, à sa personnalité, comme à son
histoire. On comprend mieux aussi d’où Winckler tient les valeurs (en premier
lieu le respect du malade) qu’il a mise en œuvre dans sa propre pratique
médicale et on apprend beaucoup sur la médecine du milieu du siècle précédent.
Les pages les plus intéressantes sont celles où il met en relation sa propre
histoire y compris dans les phases difficiles qu’il a connu avec son rapport au
père et l’élucidation qu’il en a fait progressivement. Par là il touche à des
questions universelles à laquelle chacun d’entre nous sous une forme ou une
autre est confronté.
C’est
là aussi ce qui m’a laissé un peu sur ma faim. Tout semble converger vers
l’élucidation de certains secrets de famille. De ceux-là finalement il n’est
rien dit, certes on peut imaginer certaines choses, en deviner par soi-même
mais là justement on en aurait voulu un peu plus. Non pas nécessairement en
terme de détails biographiques mais plutôt par une élucidation en profondeur de
ce qui à travers cela s’est joué pour la famille et pour Martin lui-même.
C’est
là peut-être le sujet manqué du livre, peut-être est-ce cela qui aurait surgi
d’une reprise à distance de tous ces matériaux, ils me semblent être la matrice
d’un autre livre qui pourrait à la fois être plus court et aller plus au fond.
Martin
Winckler dirait sans doute que ce n’était pas son projet, que ce qui
l’intéressait c’était de donner à découvrir l’atelier même de sa remémoration et
de sa création. Sans doute mais moi j’aurais préféré aussi autre chose.