Pourquoi un roman est-il raté?
Je viens de lire
« Le récital des anges » de Tracy Chevalier.
J’avais beaucoup aimé
« La jeune fille à la perle » donc j’ai démarré cette lecture avec un
à priori favorable (ce qui est souvent source de déception) et là en effet j’ai
été très déçu.
J’ai essayé de me demander
pourquoi. Le livre n’est pas bâclé, il est écrit correctement, l’histoire
avance avec suffisamment de rapidité pour qu’on ne s’y ennuie pas, la
thématique est intéressante : les effets des premiers craquements de la
morale victorienne dans la bonne société britannique au début du 20° siècle, en
lien avec le développement du mouvement des suffragettes… Donc tout à priori
pour faire quelque chose de bien, or ça ne fonctionne pas.
On lit ça sans déplaisir, on
va jusqu’au bout sans peine mais on n’est à aucun moment « ravi »,
ravi au sens propre, emmené dans le monde et l’intimité des personnages. On lit
çà de loin. On ne peut absolument pas « sentir » Edith Coleman comme
on pouvait sentir la jeune fille à la perle, on ne parvient pas à rentrer dans
les personnages.
Le livre qui suit la vie de
deux familles le temps du règne d’Edouard VII (il s’ouvre et se ferme sur une
journée d’obsèques royales, celles de Victoria au début, celles d’Edouard VII à
la fin) est construit sous forme d’un discours polyphonique d’une dizaine de
personnages au moins, membres de la famille mais aussi servante ou jeune
fossoyeur du cimetière voisin. Peut-être est-ce cela qui cloche : vouloir
adopter dans un texte qui reste assez court trop de points de vue à la fois et
du coup ne rentrer vraiment dans aucun des personnages, ne parvenir à en rendre
crédible aucun.
Les discours se veulent réalistes : la bonne ou le jeune fossoyeur
par exemple parlent « popu » mais à côté de ça des gamines de sept
ans parlent comme des adultes, déploient une culture tout à fait incongrue pour
leur âge. Les invraisemblances psychologiques aussi sont légion : comment
croire une seconde à l’échangisme de la Saint Sylvestre dans un tel milieu (ou
alors il faudrait donner des raisons de pouvoir y croire), comment comprendre
d’où surgit le brutal emballement d’Edith pour la cause des suffragettes. Tout
ça tombe comme cheveux sur la soupe.
En fait je me dis qu’il y
avait derrière tout ça des tas de potentialités, de filons à exploiter, qu’il
fallait suivre un fil. Est-on dans un récit avant tout symbolique (et dans ce
cas le réalisme éventuellement importerait peu mais il faudrait alors un autre
style) ou bien dans une approche réaliste (comme le laisse entendre la tonalité
générale des récits des différents personnages mais alors les invraisemblances
psychologiques ne passent pas du tout) ?
Je me dis qu’écrire c’est
aussi choisir et que c’est cela qui a manqué ici.