Charlotte Salomon
J’ai
vu vendredi l’exposition Charlotte Salomon au musée d’art juif. C’est une
exposition très impressionnante, pas seulement sur le plan artistique, c’est
une exposition humainement bouleversante.
Charlotte
Salomon était une jeune fille de la bourgeoisie juive cultivée de Berlin.
Pendant la guerre elle va rejoindre ses grands parents réfugiés dans la région
de Nice. Elle est profondément affectée à la fois par le tragique de l’époque
mais aussi par une histoire familiale terriblement douloureuse. Elle se réfugie
alors dans une activité artistique incroyable, elle peint/écrit en 1300
gouaches une impressionnante autobiographie et elle associe les suites de ses
gouaches à des chants et des musiques pour constituer un
« singspiel », une pièce de théâtre chantée, composant ainsi une
sorte d’œuvre multimédia avant l’heure, extrêmement moderne. Elle est arrêtée
en 1943 et tuée le jour même de son arrivée à Auschwitz.
Les
gouaches sont d’une variété extraordinaire, tant dans les thèmes, dans les
coloris, dans les cadrages et le rythme du dessin, (certaines planches sont
individuellement de véritables bandes dessinées). Les textes apparaissent en
calque ou s’incrustent directement dans le dessin. On y voit la petite fille
dans sa vie berlinoise, l’adolescente confrontée à ses difficultés
psychologiques et familiales, la montée du nazisme, l’art, peinture ou musique,
qui semble pouvoir être le lieu du salut, la passion amoureuse, l’exil auprès
des grands-parents. C’est là que Charlotte prend véritablement conscience du
tragique des destins familiaux. Sa mère n’est pas morte d’une grippe mais s’est
suicidée, un suicide qui s’intègre dans une impressionnante série, le suicide
paraît le destin familial récurrent. C’est pour conjurer ce destin, pour tenter
de survivre que Charlotte se lance dans l’urgence et avec passion dans la
réalisation de son œuvre qui se veut affirmation de vie et qui se termine sur
quelques images merveilleusement colorées et lumineuses de Charlotte occupée à
peindre devant la Méditerranée. C’est cette affirmation, malgré la mort et
malgré l’horreur, de la beauté du monde et de la vie qui est la part la plus
bouleversante de cette œuvre magnifique.
Je
suis resté un long moment. Après avoir défilé devant l’ensemble des gouaches,
après avoir pris une sorte de vue d’ensemble de ce destin ou plutôt de la
transcription qu’en a fait Charlotte, j’ai eu plaisir à revenir à quelques unes
des gouaches plus individuellement, à redescendre du déroulé de la vie vers
quelques moments arrêtés, je suis resté aussi un long moment à l’endroit où
l’on peut écouter grâce à des casques mis à disposition les musiques
accompagnant chacun des épisodes.