Retrouvailles
J’ai revu ce week-end une
amie perdue de vue depuis plus de vingt ans. Elle a lu mon nom il y a quelque
temps lorsque j’étais allé faire un petit topo sur les journaux en ligne à Lyon
dans le cadre de mes activités d’apaïste ; elle s’est dit, est-ce lui,
est-ce une homonymie, un petit mail interrogateur, ah ma joie quand j’ai vu ce
nom s’afficher sur ma messagerie, je n’avais pas une seule seconde pensé qu’il
pourrait y avoir un effet induit de ce type en faisant ce topo, j’ai habité à Lyon
il y a quelques années mais c’est tellement comme dans une autre vie que je
n’avais même pas pensé à des connexions possibles ; quelques échanges de
mails ensuite, oui, oui, c’est bien moi, celui que malicieusement, petite
gamine que tu étais, tu avais appelé « Narbu le Barbu », voir
réapparaître ce nom, c’est comme une madeleine ; un long coup de téléphone
pour reprendre contact d’un peu plus près, se raconter (un peu) la vie et puis
cette occasion qu’elle a eue de venir à Paris et ces retrouvailles…
On s’est retrouvé d’abord
pour un pot en tête à tête vendredi en fin d’après-midi puis elle est venue
déjeuner à la maison dimanche pour un repas « en famille », il y
avait Constance et mes gars et il y avait sa mère à elle que j’ai aussi bien
connu pendant mes années lyonnaises.
Naturellement on a changé,
et pas qu’un peu, pas seulement l’effet du vieillissement sur les traits, moi
j’étais encore barbu-chevelu la dernière fois qu’on s’est vu et elle avait une
longue chevelure alors qu’elle porte désormais les cheveux très, très courts.
On se l’était dit, donc la reconnaissance a été immédiate. Mais si l’on s’était
croisé par hasard sans s’attendre à se rencontrer ? En tout cas dès que
l’on se retrouve, il n’y a aucun doute, on embraye comme si on s’était vu d’hier,
la personne est la même, les deux images purement visuelles se superposent mais
il y a tout le reste qui n’a pas changé, la voix, le regard, une façon de se
mouvoir, de parler, comment résumer ça, une présence peut-être, oui c’est ça,
la présence est la même.
On revient sur des souvenirs
communs. En fait je l’ai connu petite fille alors que j’étais déjà jeune adulte
(on a une bonne dizaine d’années d’écart) nous la voyions souvent parce que
l’appartement de sa mère était une sorte de local bis de l’organisation
militante dans laquelle j’étais investi jusqu’au cou à l’époque, j’ai quitté
Lyon ensuite, je l’ai revu jeune fille sans avoir vu la transition, ça a été un
choc, je me souviens très bien, c’était la première fois que j’expérimentais
cela, la perception du temps qui passe, la première fois que je m’interrogeais
là-dessus aussi à partir d’une expérience concrète, d’une émotion personnelle
et pas avec les mots des livres ou des profs de philo. Ce même pétillement
qu’elle avait enfant et en plus voilà qu’elle était devenue belle et
désirable ! On a évoqué tout ça à demi mot, on a reparlé d’une certaine
balade en Chartreuse dont j’ai un souvenir très vif (mais d’ailleurs peut-être
en partie fallacieux, va-t-en savoir en fait ce que l’on conserve, nulle part
n’existe le disque dur du déroulé et des émotions effectives de l’époque).
J’avais évoqué ce souvenir déjà dans mes échos ici . J’aime bien ces
empilements de passé et d’images du passé dans le présent qui se constituent et
se répondent, oui quand elles se répondent, c’est aussi un jeu d’échos ça, des
échos où se rajoute la dimension temporelle.
Dimanche dans un contexte
tout à fait différent, moins intime, cela a été très sympa aussi et je crois
que tout le monde a passé un bon moment y compris mes gars, intéressés à voir
ressurgir des bouts du passé de leur père que je n’évoque pas souvent. Et puis
on a parlé aussi de beaucoup de choses très contemporaines.
C’est sûr on se reverra.
Et quand même tout ça c’est, quoique de façon indirecte, l’effet de mes écritures et d’internet, outil
formidable, preuve qu’on est bien ici dans le réel vivant, dans la vie qui
continue et pas dans le virtuel, dans les mots éteints, dans la nostalgie
fermée.