Anonymat moribond
Les journées de
l’Association pour l’Autobiographie viennent de se terminer. J’y ai participé
activement comme je le fais depuis quelques années déjà. En parler ou
pas ? En parler en ligne ou en parler hors ligne ? Bon, je me décide,
j’en parle ici, c’est un coup de canif de plus dans mon anonymat. Mais je sais
que cet anonymat je le laisse filer de plus en plus ces derniers temps. Donc
autant assumer plutôt que de s’obliger à des contorsions de plus en plus
tortueuses pour tenter de le maintenir. Cela me conduira sans doute à glisser
un peu plus vers le journal extime, à réserver mes entrées les plus intimes
pour le hors ligne. Mais je ne pense pour autant que cela me conduira à une
écriture consensuelle molle ou dépersonnalisée. Une part d’intime peut
parfaitement continuer à se dire. Peut-être même est-ce un bon exercice
d’écriture de trouver les moyens à la fois de rester au plus près de soi tout
en évitant ce qui peut mettre explicitement autrui en cause, risquer de
blesser, conduire à des conséquences néfastes dans les diverses sphères
relationnelles qui sont les nôtres. Cela implique de jouer éventuellement de
l’understatement ou de l’allusion, cela n’interdit pas les clins d’œil, ce qui
ne pourra être compris que par tel destinataire ou tel groupe de destinataires.
Tout cela peut j’ose le croire se faire en restant authentique. C’est en tout
cas la condition que j’y mets pour que cela garde sens. Je ne dis pas que c’est
facile. Je ne dis pas que cela sera toujours sans conséquences ou conflits. Le
journal s’inscrit alors non comme simple observation passive de soi mais comme
élément de la trame même de la vie.
Donc j’assume cette perte
progressive de l’anonymat.
Sans « coming
out » spectaculaire. En prenant soin de ne jamais associer dans un écrit
ou sur internet mon nom d’état-civil et mon pseudo. Mais ceux qui me lisent et
qui me connaissent par ailleurs dans la sphère de l’APA n’auront désormais plus
aucun mal à faire le lien.
L’hésitation là-dessus est
d’ailleurs présente depuis longtemps. Puisque il y a naturellement convergence
entre mes activités diaristes et mes activités apaïstes il était inévitable que
les deux mondes se rencontrent. Au tout début lorsque j’étais moins impliqué
dans l’APA j’avais mis en ligne mes compte-rendus des Journées puisque personne
sauf hasard n’aurait pu faire le lien, lorsque je suis devenu plus actif et
connu ça m’est devenu difficile par crainte de perdre cet anonymat et j’ai pris
la décision de laisser ces entrées hors-ligne, cette fois je renoue avec la
mise en ligne en me sentant prêt à sacrifier délibérément l’anonymat.
Pendant ces Journées
d’ailleurs je me suis senti un peu en malaise autour de ça. A plusieurs moments
j’ai eu envie de me découvrir devant certains. Lorsque j’ai présenté mon
atelier sur l’histoire de l’écriture personnelle en ligne j’ai eu envie de
lâcher le morceau, de dire « j’en suis » et en même temps les
résistances à le faire sont restées présentes et l’ont emporté. Et cela m’a
gêné d’autant plus que, suite à un malentendu, j’ai commis moi-même une
maladresse sérieuse en présentant un diariste présent d’une façon qu’il
n’aurait pas souhaité. D’une certaine façon, ce bug m’oblige : puisque
j’ai dévoilé des choses le concernant, comment moi pourrais-je m’autoriser à
rester à l’écart ? Serait-ce ça le sens profond de cette maladresse :
m’obliger, moi, à cette sortie du bois ?
( Ecrit lundi 5 juin)