Inappétence à écrire
Mot un peu savant et
prétentieux pour ce titre peut-être... Mais c’est celui qui m’est venu, c’est
vraiment ce que je ressens, en ce moment je n’ai guère l’appétit d’écrire.
J’ai des insomnies du matin
très régulières ces jours ci, je m’éveille vers quatre heures et me rendors
parfois, parfois pas, vers six heures, six heures et demi peu avant que mon
réveil ne sonne. C’était typiquement le genre de moment où j’aimais à
griffonner sur mon petit carnet ou même à me lever et à descendre avec
l’ordinateur pour écrire. Ces derniers jours je ne l’ai pas fait. Pas
l’énergie, pas l’appétit. L’envie elle y aurait été, j’ai des thèmes de
chroniques qui m’ont traversé, des tas de choses que j’aurais voulu retenir
pour moi, dire pour les autres. J’aurais voulu parler du film de Ken Loach et
de celui de Michel Gondry, de Natascha Kampusch, de ce qui me fascine dans
cette histoire et de ce qu’il peut y avoir de malsain dans cette fascination,
du 11 septembre et de ce dont il est le symptôme, cette fracture du monde,
effrayante et qui s’aggrave... Mais je suis resté sur mon lit, dans
l’obscurité, l’esprit flottant, pensant à tout, ne pensant à rien, laissant
l’heure tourner. Hier soir même chose, j’avais du temps, je pensais écrire mais
au bout du compte je me suis simplement assis devant la télévision et j’ai
regardé un film.
A quoi cela tient-il ?
Peut-être seulement à une forme de fatigue. Il faut accepter sa fatigue. Et
celle-ci est liée à la charge de mon travail professionnel en cette rentrée. Pour
moi écrire est un travail, je ne suis pas de ceux dont les mots coulent avec
facilité, il me faut les tirer de moi presque au forceps et ensuite les malaxer
pour les organiser d’une façon qui me convienne à peu près. Alors le travail
après le travail non, même si c’est un autre travail, même si c’est un travail
que j’aime, il y a aussi besoin de la pure détente, du laisser aller, du repos.
Mais peut-être n’y a-t-il
pas que cela. Peut-être y a-t-il aussi une certaine difficulté vis à vis du
fait de tenir journal. Cette tentative de retenir les choses, de retenir le
temps est parfaitement vaine naturellement, je l’ai toujours su, mais elle est
suffisamment puissante en moi pour jour après jour me faire accumuler les mots.
Il m’arrive de me dire qu’il me faudrait peut-être un jour décider d’arrêter
tout cela de façon volontariste, de cesser de me préoccuper de conserver, de
vivre le présent et seulement le présent. Ecrire certes encore à l’occasion,
mais uniquement dans le plaisir du moment : et ce plaisir là est plus vif,
m’apporte plus de satisfaction quand je m’affranchis de moi (ou du moins du moi
immédiat, quotidien), bref quand je titille du fantasmatique et du fictionnel
plutôt que quand je ressasse mes jours. Je ne renie pas du tout ce journal. Tel
quel et même si je devais l’interrompre il fait sens. C’est une tranche de vie,
d’affects, de pensées, d’émotions esthétiques, cinématographiques, littéraires,
d’un homme ordinaire, au tournant de sa cinquantaine et au tournant entre deux
siècles. Comme tel cela vaut d’être conservé, comme trace d’un être et d’un
temps, relu plus tard, peut-être ou peut-être pas, par quelques descendants ou
par quelques simples curieux mais qui y trouveront une part infime de leurs
racines.
Et puis j’ai peut-être aussi
une moindre motivation à ce qui est l’autre aspect de ce journal, lié celui là
à la mise en ligne, la communication qu’il induit, la vie dans le blogomonde.
Je n’ai pas retrouvé dans ma façon d’aller lire les autres à cette rentrée le
même allant qu’auparavant, je survole plus que je ne lis, je n’ai pas aussi
fortement l’envie du partage de mes propres mots. Je remarque d’ailleurs que je
ne suis pas le seul dans le petit canton que je fréquente habituellement, sous
des formes diverses, plus ou moins radicales, il y a chez certains des
attitudes de retrait ou de mise à distance. Cycles et variations normales mais
là qui surgissent chez plusieurs avec une certaine convergence dans le moment
qui est frappante.
Bon, mais là ce matin, finalement je suis venu écrire, j’ai démarré et l’appétit, comme souvent, est venu en mangeant !
Etait-ce bien la peine de
venir écrire tout ça ? L’ai-je écrit pour dire que je vais me faire plus
rare, pour prévenir en quelque sorte mes lecteurs, pour me dédouaner à leur
égard, comme si je m’étais créé une quelconque obligation ? Peut-être. Et
d’ailleurs vais-je me faire plus rare ? Ce n’est même pas sûr, l’appétit
va peut-être revenir. Va-t-en savoir !