"Sarajevo, mon amour"
J’ai vu ce très beau film
hier. Allez-y. Courrez y plutôt car je crains, vu le peu de monde qu’il y avait
dans la salle un dimanche soir qu’il ne tienne pas longtemps à l’affiche et
c’est dommage.
Il raconte la vie et les
relations difficiles d’une mère Esma avec sa fille Sara tout juste adolescente
dans le Sarajevo d’aujourd'hui. On y voit la vie dans la capitale bosniaque,
avec les difficultés matérielles à affronter dans une ville en reconstruction
précaire, avec les mafias et les soldats perdus qui ne sont pas loin.
L’ambiance y est plombée par les traces encore présentes de la guerre, traces
physiques mais aussi traces mentales et morales autrement pernicieuses,
inscrites au plus profond de chacun.
Le père de la jeune fille
est censé être mort en martyr pendant la guerre. On devine très vite sans que
rien ne nous en soit dit ce qu’il en est réellement, les réactions d’Esma, sa
souffrance, sa douleur omniprésente mais tue, suffisent à nous le faire
deviner.
A l’occasion d’un voyage
scolaire dont la gratuité est acquise aux enfants des « martyrs de la
patrie » le secret douloureux de la naissance de Sara est conduit à la
surface. La difficulté de dire cette parole comme la difficulté de la recevoir
forment le cœur du film. Mais c’est la connaissance de la vérité, aussi
difficile soit-elle à admettre dans un premier temps, qui est comme toujours,
plutôt que le maintien des pieux mensonges, gage d’une possible reconstruction
ultérieure.
C’est un film dur, sans
concession, sans joliesse, qui montre avec pudeur les traumatismes persistants
liés à un passé proche atroce. Mais c’est aussi un film tonique, plein
d’énergie, ouvert sur un avenir qui sera meilleur. Cette mère est une mère
courage, rien n’effacera jamais les traumatismes en elle, mais en sa battant
pour sa fille c’est elle-même qu’elle sauve. Le sourire que la mère et la fille
échangent au moment où le car s’ébranle est reconnaissance d’amour mutuel,
porte ouverte à l’avenir, certitude que la jeune fille, passé la crise violente
que la révélation du « secret » a déclenché en elle, saura se
construire à partir de la vérité douloureuse. On ne sort pas abattu de ce film
mais requinqué plutôt.
Oui, allez-y pour la qualité et l’émotion du film mais aussi parce qu’il est bon qu’il soit largement vu. Il est bon que ces choses là se disent, écrire, filmer autour de ça, le diffuser et le faire reconnaître, c’est participer aussi à un combat pour une reconstruction. Il n’est pas indifférent que le film s’ouvre sur ce long plan qui balaie des visages des femmes muettes mais qui disent tant de choses avec leur regard. C’est au milieu de ces femmes que la mère enfin aura la force de verbaliser son histoire. Ce film c’est aussi une contribution à une sorte de thérapie collective pour les femmes bosniaques et au-delà pour toutes les femmes contraintes dans toutes les guerres, dans toutes les situations de sujétion extrême, de subir ce genre d’atrocités.