Making of
J’ai écrit hier un court
texte pour Paroles Plurielles. La consigne s’appuyant sur une des photos d’Alain qui
était une belle fenêtre pour l’imaginaire m’avait tout de suite accrochée.
L’incipit proposé n’était que second, important tout de même parce qu’il permettait
de démarrer et de s’engager dans une direction plutôt que dans une autre mais
sans doute à peu près n’importe quel membre de phrase aurait pu faire
l’affaire. L’essentiel vraiment était dans la contemplation de l’image.
Je dis bien contemplation. Je
suis resté une dizaine de minutes dessus, sans réfléchir, en attention
flottante, laissant l’image, la gestalt qu'elle portait, se structurer au-delà des éléments
manifestes qui sautent aux yeux d’emblée, la main, l’oiseau. Curieusement ce
qui m’a fait voir un visage c’est d’abord le toit de la maison, ce petit cône
qui m’a évoqué un chapeau chinois. Après c’était acquis, la figure humaine
était là, des mots ont commencé à venir, que j’ai griffonnés sur une page
blanche, sans structure, centré sur la description imagée de ce que je voyais.
Griffonner et avec le mouvement même de la main, à cette étape c’est important,
le mot surgit dans le mouvement même, pas dans la décomposition hachée,signe
après signe, de la saisie sur le clavier. D’autant qu’en plus j’avais besoin de
l’écran pour avoir l’image devant les yeux et continuer à me faire porter par
elle. C’est ensuite seulement que j’ai commencé d’imaginer
« l’histoire » et là c’est l’incipit qui m’a donné une direction.
J’ai vu où j’allais aller et j’ai pu jeter très vite sur le papier
l’essentiel de son déroulé.
Puis j’ai laissé reposer
comme une pâte qui doit lever…
J’ai repris le texte, après
ma journée de travail où tout cela avait été totalement mis à l’écart, oublié,
interdit de conscience. Je l’ai retrouvé avec une sorte de jubilation, plaisir
alors de bousculer les mots, d’en enlever et d’en rajouter, de les triturer, de
les lire et de les relire pour sentir les assonances, les rythmes, pour les
goûter d’une façon quasi sensuelle. Là est vraiment le plaisir de l’écriture,
là est le moment dont je ne me lasse pas. Qu’il faut savoir interrompre
d’ailleurs parce qu’on pourrait sinon se noyer dans l’écoute des mots et finir
à force de reprises à perdre une part de l’énergie d’origine. Donc j’ai clos et
j’étais dans une joie profonde.
La joie elle est avant tout dans
la création tout simplement indépendamment de toute éventuelle valeur objective
du texte. D’abord il n’y avait rien, absolument rien, une page blanche, un
esprit vide, interrogateur, se demandant bien ce qu’il allait pouvoir dire et
puis maintenant il y a quelquechose, un cortège de mots et de sons sorti de soi
et qui fait sens, qui fait musique. De ce point de vue c’est très différent de
l’écriture du journal, qui part toujours d’une idée de note qui est plus ou
moins là, qui parfois chemine depuis un bout de temps, qu’il faut organiser,
expliciter, rendre claire et compréhensible pour soi-même et pour le lecteur,
parfois au prix d’un effort laborieux. Là au contraire, on part du vide, du
rien, on prend des images, on prend des mots, on se laisse porter par eux, on
en fait la cuisine, et puis voilà, le plat est là, prêt à être servi, c’est un
travail oui, il ne faut pas mésestimer cette part de travail mais un travail
tellement jouissif qu’on le vit finalement comme un pur plaisir, bien plus que
pour une écriture d’analyse ou de commentaires.
J’ai envoyé le texte à
Paroles Plurielles hier. Pour l’instant il doit être dans la file d’attente,
attendant que nos « dames publicatrices » éclusent les textes de plus
en plus nombreux qui arrivent. Alors j’attends moi aussi pour le mettre sur mon
propre site de Nouvelles et Fragments, il est fait pour Paroles Plurielles,
normal que la primeur en soit pour elles.
Plus ça va, plus ce genre d’écritures me donne du plaisir. Je n’ai pas envie d’abandonner mon journal, non, la preuve, mais ces petites infidélités rajoutent à mon goût d’écrire, elles sont nécessaires, Eva, dans les mieux chevillés des vieux couples…