Faits divers
Longtemps j’ai eu un regard
très méprisant sur tout ce qui entrait dans la chronique des « faits
divers » des journaux. Tout ça n’étaient que non évènements, mis en avant
pour faire vendre du papier, pour faire causer les pipelettes, pour flatter de
bas instincts et pour détourner les gens des sujets sérieux.
Je ne pense plus pareil. Je
vois désormais dans ces faits des évènements qui disent beaucoup de la société
dans laquelle on vit. Et au-delà surtout, j’y vois de l’humain, j’y vois la
manifestation de ressorts cachés, profonds, de la psyché humaine, une part
noire qui reste latente chez beaucoup, mais qui parfois en raison de
conjonctions particulières ou de circonstances s’expriment d’une façon
exacerbée en produisant des situations extrêmes, le plus souvent dramatiques.
Lors de l’affaire Villemin
j’avais été choqué par le déploiement médiatique mais pas du tout interpellé
par l’histoire elle-même et les drames récurrents de cette famille, je ne
l’avais absolument pas suivie. Mais aujourd'hui je crois que j’aurais regardé
avec intérêt le feuilleton documentaire qui va lui être consacré ces jours ci à
la télé, d’autant que d’après ce que j’ai lu c’est fait avec talent et respect.
Je ne le regarderai pas en fait car je m’en vais, des vacances et un voyage
cela vaut mieux quand même que n’importe quel écran. Mais l’envie, l’intérêt y
était.
J’ai été aussi assez
questionné ces jours ci par l’affaire Courjault. Quelles forces ont pu agir
dans ce couple extérieurement si banal, quelle construction mentale cette femme
a-t-elle pu développer pour en arriver là, les grossesses sont-elles vraiment
passées inaperçues dans son entourage, est-il possible alors que ce soit
développé un déni puissant au point d’en être aveuglant au sens propre ?
Le caractère particulièrement morbide de cette affaire fait cependant qu’au
delà de ce questionnement, cette histoire ne me parle pas vraiment, ne me
renvoie rien, ne déclenche rien dans mon propre imaginaire.
Il n’en est pas de même pour
les histoires qui tournent autour des doubles vies ou des disparitions.
Celles-ci au contraire me font gamberger. Elles sont parait-il plus fréquentes
qu’on ne croit. Un tel sorti de chez lui pour une course anodine qu’on ne voit
pas revenir et dont on n’entend plus jamais parler. Il y a parmi ces
disparitions non élucidées, des drames sans doute, des assassinats qui ne
surgissent pas au jour mais il y a aussi des gens qui ont choisi soudain de
disparaître, de changer totalement de vie, de basculer dans une autre dimension
de leur personne éventuellement après un long cheminement secret. Bien sûr je
n’idéalise pas. Les redémarrages réussis doivent être excessivement rares, je
pense que la vieille peau et les vieilles névroses collent profondément à la
peau, mais il n’empêche qu’il y a là quelquechose qui me fascine. Je sais
pertinemment que je ne suis pas, mais pas du tout programmé comme cela, moi qui
suis au contraire à l’excès dans les continuités, qui ai toujours évité les
ruptures de quelque ordre qu’elles soient, par peur de leurs conséquences, par
besoin quasi pathologique de sécurité. C’est une fascination sans conséquence
de ce qui m’est si contraire et justement parce que ça m’est si contraire.
Dans la dernière période j’ai été particulièrement interpellé par l’histoire de Natascha Kampusch. Bien sûr là il ne s’agissait pas d’une disparition choisie, on n’est pas dans le même cas de figure. Les violences très certainement subies, la mise à l’écart du monde, la privation de liberté sont insupportables et il serait malsain de ne pas y voir d’abord un calvaire pour l’enfant et une monstruosité de la part du kidnappeur. Mais en même temps il y a dans cette histoire des éléments profondément troublants. La force que semble avoir acquise la jeune fille, la forme de résilience qui semble la porter sont impressionnantes. Quelle était la part d’amour fou dans le comportement du ravisseur et qu’en a ressenti l’enfant ? Quels rapports troubles se sont finalement construits entre eux, quelle dialectique étrange du maître et de l’esclave a pu se jouer selon des termes et avec des rapports de force qui peut-être ont évolué avec le temps ? Bien sûr on ne sait rien vraiment sur tout cela dans les profondeurs des consciences et des affects et c’est tant mieux. Peut-être appartiendra-t-il à Natascha d’écrire là-dessus elle-même mais beaucoup, beaucoup plus tard.
J’ai récolté quelques
coupures de presse sur cette histoire comme j’en ai sur d’autres du même acabit
(ou de moindre acabit). Je n’en fais rien. J’y vois seulement d’éventuels déclencheurs
à écrire si j’en avais le temps. Je sais bien qu’il y en aura des bouquins
là-dessus. Parce que ça fait vendre en effet. Je suis sûr que des plumitifs
sont déjà au travail. Il faut produire vite en plus parce que pour bien vendre
il ne faut pas être trop loin de l’événement. Mais ces manifestations
mercantiles ne peuvent m’empêcher de laisser filer mes propres pensées et mon
propre imaginaire à partir de cette histoire. Je ne peux prétendre savoir, je
ne peux même pas chercher à savoir, par contre je peux manipuler des
hypothèses, je peux tenter d’imaginer, je peux tenter de me glisser par cette
lucarne vers des parts mystérieuses du fonctionnement humain et de me dire que
j’aimerais m’en inspirer, tenter d’écrire à partir d’elle.