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Les échos de Valclair
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16 novembre 2006

Une recherche du temps perdu

J’avance dans la lecture du beau « roman » d’Alain Fleischer, "L'amant en culottes courtes". Je l’ai commencé à Londres, ce qui était de circonstances puisqu’il raconte le séjour en 1957 d’un jeune français dans une famille anglaise. C’est l’année de ses treize ans et c’est l’année de son initiation amoureuse, c’est un moment exceptionnel, un moment qui a sédimenté ensuite dans la conscience du jeune homme, de l’adulte puis de l’homme mur qui atteint désormais au temps des bilans et des remémorations.

Evidemment ce livre me parle. Moi aussi, une petite dizaine d’années plus tard, j’ai eu droit au séjour en famille anglaise, moi aussi c’était à la fin de mon année de quatrième, moi aussi je me suis retrouvé dans une famille pilotée par une maîtresse femme « reine d’un royaume sans roi », dont le mari, british jusqu’au bout des ongles, suivait le mouvement placide et souriant et la pipe entre les dents. Elle organisait pour moi quantité d’activités et me faisait piloter par ses grands garçons un peu plus âgés que moi. Il s’agissait non seulement d’apprendre la langue mais aussi de me doter d’un soupçon des valeurs et de la culture propre à une certain « english way of life ». J’ai retrouvé là donc avec une sorte de jubilation beaucoup de l’ambiance et de mes ressentis du temps.

Je n’étais pas aussi précoce à tous points de vue que le petit Alain. Il n’y avait pas de jolie fille et de toute façon, y en aurait-il eu, j’étais à mille lieux des préoccupations sexuelles déjà si vives du jeune Alain. J’étais encore bien plus petit garçon que lui !

L’aisance du jeune garçon, sa facilité à entrer sans angoisse dans la sexualité, comme dans quelque chose de simple, de naturel, d’évident, sa confiance en lui, me fascinent quand je la mets en rapport avec mes propres difficultés en ces matières et qui ont été si persistantes.

« J’ai longtemps porté des culottes courtes – ici s’arrête l’imitation d’une œuvre inimitable entre toutes -.et longtemps j’ai regretté de n’avoir pu les porter plus longtemps ».

Ainsi commence ce récit. Et la référence à Proust n’est pas anodine. Il y a dans ce livre une évidente recherche du temps perdu, qui partage avec l’autre une volonté d’appréhension du temps passé dans toute son épaisseur, avec ce que lui a rajouté l’imagination et les souvenirs qui l’ont transmué au long des années. Chaque moment est suivi, analysé, décortiqué au plus près, il faut plus de six cent pages imprimées serrées pour raconter le temps d’un seul mois d’un petit garçon s’initiant à l’amour et à la sexualité.

Il est écrit sous le titre : « roman ». Mais la quatrième de couverture nous indique qu’il s’agit d’un « récit strictement autobiographique ». A vrai dire plus on avance dans la lecture, plus il est manifeste que l’on n’est pas, que l’on ne peut pas être dans le strictement autobiographique. On peut même penser que le fait de marquer le récit de signes aussi explicites de l’autobiographie (le je assumé, le nom exact, les références temporelles et géographiques extrêmement précises) sont là pour masquer le fait qu’on est justement dans un roman, dans une fiction, même si c’est une fiction qui prend sa source dans l’autobiographie, une fiction qui rend compte de façon véridique d’une certaine réalité émotionnelle, de la trace qu’elle a laissé dans la conscience de l’auteur. (exactement à l’inverse de récits qui cherchent à masquer sans masquer à travers l’emploi de la 3° personne, des noms d’emprunt, du flou dans les détails).

Ce qui est magnifié ce n’est pas l’adolescence, ce n’est pas le passage à l’âge adulte comme le ferait un banal récit d’apprentissage. Alain n’est pas à demi enfant, à demi homme, en train d’effectuer cette mue le plus souvent exaltante mais source d’anxiété et de malaise. Il ne décrit pas le processus qui chez beaucoup s’étire plus ou moins laborieusement, parfois douloureusement sur une période longue, il se concentre comme en un précipité, sur le temps bref d’un séjour emblématique et initiatique, sur un moment magique, celui d’un temps d’exact équilibre entre une plénitude d’enfant et une plénitude d’adulte. Mais ce qui lui donne sa force et nimbe ces moments solaires d’une touche de nostalgie c’est d’emblée la conscience que cet équilibre est précaire, qu’il ne pourra perdurer, que va se perdre incessamment la situation de petits garçon, les culottes courtes, les jouets d’enfants, l’amour de la grand-mère, que les premières fois sont aussi des dernières fois. 

C’est cette présence de la perte inéluctable qui donne sa profondeur au récit, qui le prolonge dans la conscience de l’adulte, de celui qui par le récit tente de rappeler à lui le petit garçon qu’il fut.

 

C’est bien une recherche du temps perdu.


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Commentaires
V
Je n'avais jamais entendu parler de ce livre, Pivoine. Un de plus pour ma PAL!<br /> <br /> J'en profite pour te remercier de tes commentaires bourrés de compléments et de références dans des secteurs culturels que j'ignore le plus souvent complétement, tu me fais découvrir...
P
Ton roman me fait penser (la référence à l'Angleterre sans doute), à un autre roman, du même genre, roman d'éducation, roman d'initiation (le "bildungsroman", on avait eu un cours là-dessus, en secondaire), où la part de roman et d'autobiographie sont très difficilement démêlables: un petit roman simple, écrit en anglais, à l'origine, puis réécrit en français, par Dorothy Bussy et Martin-du-Gard: "Olivia par Olivia". (Il existe chez Stock, tiens, je me demande si tu l'aimerais... En tout cas, il vaut la peine d'être lu, voire relu).<br /> <br /> Sinon, quoi de plus beau que cette simple phrase, "Longtemps, je me suis couché de bonne heure". Mon Dieu! Je me demande si ce n'est pas une des plus belles phrases de TOUTE la littérature française, et pourtant, elle en compte, des phrases (et des vers) inouabliables... <br /> <br /> Je jetterai un coup d'oeil sur ce livre, à l'occasion.
Les échos de Valclair
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