Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les échos de Valclair
Derniers commentaires
24 janvier 2007

Engagement

J’avais de l’admiration pour l’Abbé Pierre bien sûr, pour sa capacité d’indignation toujours présente, pour son action inlassable, pour son indépendance à l’égard de tous les pouvoirs, pour les positions qu’il a su prendre contre les dogmes les plus réactionnaires de l’église sur les questions de mœurs. Mais il était dans l’ordre des choses qu’il s’éteigne après cette longue vie. Il est normal que cela cause une certaine émotion chez chacun d’entre nous, normal que celle-ci soit plus forte chez ceux pour lesquels il a lutté ou chez ceux qui se sont engagés au quotidien dans son combat.

Mais je suis assez perplexe devant le déferlement médiatique que cela suscite, devant une façon assez ostentatoire d’afficher cette affliction chez certains en particulier parmi ceux qui comme moi vivent dans une quiétude de nantis et ne sont concernés que de très loin par la misère du monde. Et que dire de nos politiques qui pleurent si fort « l’immense conscience morale ». Que n’ont-ils su, que n’ont-ils pu dans cette société si riche, de plus en plus riche, indécemment riche, faire que le problème ne se pose plus.

Cette perplexité me ramène à moi-même, à mes propres insuffisances, à ma propre mauvaise conscience.

Je reste toujours très sensible à la misère du monde et à celle qui est la plus proche de nous, celle qui se donne à voir sur nos quais de métros, sur nos trottoirs. Le serrement de cœur est toujours là, je ressens un déchirement, ça me fait mal. Je ne suis donc pas indifférent, loin de là. Mais la capacité de rébellion, d’indignation, celle qui fait agir, n’est plus là. Je me sens incapable de me mobiliser vraiment. Je peux faire un chèque de temps en temps à telle ou telle association. Mais qu’est-ce que donner un peu d’argent par rapport à l’action réelle, celle qui accepte de se mettre les mains dans le cambouis, qui se coltine aux gens eux-même, qui bouscule en profondeur le train-train de la vie que l’on mène ? Pas grand chose sinon s’acheter de la bonne conscience à peu de frais. Et encore ça ne marche pas si bien. La preuve. Et je ne peux m’empêcher de penser parfois, qu’à l’aune de tout ça, mes petites préoccupations, mes écritures, tout ce babil auquel je consacre tant d’heures, auquel je prends certes plaisir et que j’ai plaisir à partager avec vous, que tout ça, tout de même, est un peu dérisoire.

J’ai été militant. Très. Engagé au point d’en marquer significativement ma vie puisque j’en ai bouleversé mes études et que j’ai quitté des chemins qui m’étaient tracés. J’ai été investi jusqu’au cou pendant plusieurs années, lointaines maintenant mais qui restent des années phares dont je garde nostalgie et vers lesquelles je me tourne non malheureusement pour y trouver l’énergie de nouveaux engagements mais pour y contempler ma conscience malheureuse. D’étapes en étapes j’ai perdu mes illusions mais avec elles aussi ma capacité de mobilisation et d’intervention. Je l’ai perdu à l’égard du monde politique mais aussi pour d’autres engagements qui auraient pu s’y substituer, d’autres combats, à l’échelle de la vie associative de proximité par exemple. Cela ça aurait pu, ça aurait dû perdurer.

J’aurais pu certes plus mal tourner. Il y a ceux qui ont si mal supporté la fin de leurs illusions qu’ils en sont morts (j’en ai connus) ou ont disjoncté. Il y a ceux qui au contraire ont tourné casaque sans complexe et se sont habilement recyclés dans le fric ou dans les hautes sphères médiatico politiques. Moi je suis dans une sorte de position médiane, tiens je pourrais dire là encore que je suis sur une ligne grise.

Et je ne peux m’empêcher de me dire qu’au fond je n’ai fait tout au long qu’être conforme à ma vérité de classe profonde. Issu de la petite bourgeoisie intellectuelle parisienne j’étais conforme dans mes engagements d’extrême gauche post soixante-huitards. Urbain éduqué, devenu petit cadre de la fonction publique, propriétaire de mon logement, ayant des enfants passés par les « bons » lycées et que ne menacent pas le déclassement, je le suis en étant social-démocrate bon teint. Et conforme au-delà même aux enseignements de sagesse bourgeoise de ma grand-mère issue de lignées de petits paysans propriétaires du sud-ouest, basculant dans la moyenne bourgeoisie. Je me souviens de mes discussions passionnées avec elle du temps de mes engagements militants, c’était une femme ouverte, intelligente, pas classiquement réactionnaire, pas effrayée par les « rouges », elle s’enthousiasmait même de mes enthousiasmes tout en les contestant mais elle terminait toujours en disant : « c’est bien mon garçon, c’est bien, tu jettes ta gourme, mais tu verras, tu reviendras… » Elle avait raison.

Publicité
Commentaires
V
Rassurez vous Ségo, Pivoine, de l'indulgence envers moi-même je n'en manque pas. <br /> Je me dis même des fois que j'en ai un peu trop.<br /> Et je sais bien que ce chemin plutôt observateur qu'acteur est le mien, pas plus criticable que bien d'autre, je m'y suis fait, que c'est la place où finalement, à peu près, je me suis trouvé et qu'il faut que je m'y épanouisse tranquillement, sans culpabilité. Je sais aussi que nous ne sommes pas des sauveurs, et que l'avoir cru a pu nous mener à des extrémités redoutables et relevait aussi d'une tentative pour se détourner et compenser ce qui n'allait pas ou qu'on ne voulait pas voir au fond de soi.<br /> Il n'empêche. De temps de temps me remontent des nostalgies et c'est de ça qu'on est fait, de cette complexité, de tous ces bouts de soi parfois un peu difficile à accorder ensemble.
P
Ben oui, Val, un peu d'indulgence que diable ! Crois-tu que cela avancerait la misère du monde, si tu avais subi un déclassement ? (Ca peut arriver à tout le monde crois-moi, il suffit de perdre un boulot, de divorcer, d'attraper un "bon" cancer), d'être veuf, accidenté, que sais-je encore ! <br /> Et même alors, agir est toujours entre tes mains...<br /> Tu sais, mieux vaut une ligne grise, même si c'est pas marrant, qu'une ligne noire, parfois, et grise quand tout va bien ! Adieu, révolutions! Ce n'est plus à notre portée, il ne faut pas rêver, le monde a tourné sur son orbe en 89 et des barrières sont tombées qui maintenaient, très fragilement, la droite et le capital en lisière (mais si peu!) <br /> <br /> IL y a une chose que j'ai toujours dite et redite, du temps de mon boulot dans la laïcité (c'est même peut-être une des choses qui m'a valu mon C4), écrire, Val, c'est un acte politique. Culturel, et donc, politique, qu'on le veuille ou non, et si c'était ça, ton truc ? Ecrire ? <br /> <br /> Tout le monde n'est pas bâti pour monter des barricades... Le tout est de l'accepter. De connaître ses atouts et de les utiliser au mieux. <br /> <br /> Je pense que tu as tout ce qu'il faut pour que, petite touche par petite touche, ta ligne grise devienne plus blanche, par endroits. Et de toute façon, comme l'a si bien dit Yourcenar, "nous ne sommes pas des sauveurs". Je trouvais ça horrible, quand je l'ai entendue, mais dans le fond, c'est très vrai. <br /> <br /> Comment serions-nous des sauveurs, d'ailleurs ?
S
En me lisant tu comprendras combien ce que tu écris là me touche...<br /> <br /> j'ai retrouvé hier soir un amour (platonique) de jeunesse, avec qui, dans ma vie étudiante, je partageais un tas d'engagements...politiques...et sociaux notamment.<br /> Avec qui à la fac je refaisais le monde pour la justice duquel nous avions à coeur, comme toi, de nous engager...<br /> <br /> Je l'ai retrouvé hier qui montait à Paris pour son activité syndicale...))<br /> <br /> Au bout de quinze ans, je me dis que chacun a poursuivi son chemin tel qu'il DEVAIT se dessiner...<br /> <br /> C'est cela qui m'est apparu hier comme une éclatante vérité et que tu relates ici. <br /> <br /> Ces tracés d'existence en lien avec nos personnalités et nos histoires familiales.<br /> <br /> Tu vois, je me dis que si lui a eu la force de poursuivre, et qu'il m'émeut encore, moi à ma façon j'ai accompli certaines actes qui me tenaient à coeur et opposé ma résistance là où il me semblait juste d'être.<br /> Prés des politiques...en fait ))<br /> <br /> L'exercice de ton métier peut être aussi ta façon à toi de poursuivre, dans une voie médiane, ce chemin.<br /> <br /> Et ne me dis pas que c'est pour suivre ta carrière de petit fonctionnaire bien méritant !!<br /> <br /> Trés cher Val, un peu d'indulgence avec toi même !!! <br /> quand même :))
V
Pour les enfants, Amaily, je crois que c'est un peu plus compliqué et c'est même une des seules choses qui me rend un peu optimiste. Mes fils par exemple n'ont certes pas notre colère, notre révolte (mais où nous a-t-elle mené?), ils me paraisent parfois affreusement tièdes (mon fils ainé de 23 ans qui se tâte entre voter Ségo et Bayrou!!!) mais ils ont quand même des valeurs qui me plaisent, ils ne placent pas le fric au centre de leur critère de choix professionnel, mon fils ainé a passé un été en Afrique sur un projet humanitaire pour lequel il s'est vraiment engagé à fond, etc, etc... Peut-être que tout çavient un peu de nous même si ça ne se manifeste pas de la même façon.<br /> Lydiel , oui bien sûr c'est le cas en général, on est infuencé pour ne pas dire déterminé, mais n'empêche il y a des gens qui plus que d'autres manifestent une capacité à s'arracher profondément à ces déterminismes.<br /> Merci Alain de ce beau poème que je vais relire à voix haute (les poètes c'est fait pour être lu à voix haute)
A
Dis qu'as-tu fait des jours enfuis<br /> De ta jeunesse et de toi-même<br /> De tes mains pleines de poèmes<br /> Qui tremblaient au bout de ta nuit<br /> <br /> Excuse-moi que je le dise<br /> Dans ce Paris où tu n'es plus<br /> Comme Guillaume l'a voulu<br /> Qu'un nom qui se mélancolise<br /> <br /> Que l'avenir du moins n'oublie<br /> Ce qui fut le charme de l'air<br /> Le bonheur d'être et le vin clair<br /> La Seine douce dans son lit<br /> <br /> Dis qu'as-tu fait des jours enfuis<br /> De ta jeunesse et de toi-même<br /> De tes mains pleines de poèmes<br /> Qui tremblaient au bout de ta nuit<br /> <br /> Ce coeur que l'homme avec lui porte<br /> Ne change pas avec le vent<br /> Nous mettrons demain comme avant<br /> Des coquelicots à nos portes<br /> (Aragon)
Les échos de Valclair
Publicité
Publicité