Consonances
Dimanche après-midi, incité
par la note de Fuligineuse sur le sujet, j’ai été voir la belle expo « Les
peintres de la réalité en France au 17° siècle » qui se tient au musée de
l’Orangerie (site du musée; site de l'expo).
J’ai passé un très bon
moment.
Il y a l’intérêt de l’expo
en elle-même, le plaisir de voir certaines très belles toiles, quelques Georges
de la Tour, son fameux clair-obscur bien sûr mais aussi cette puissance des
formes, cet éclat des couleurs et de ce rouge en particulier, cette humanité,
cette tendresse des regards, des Le Nain intensément vivants, quelques natures
mortes forcément plus froides mais si magnifiquement composées.
Mais ce plaisir se double de
celui qu’apporte le concept même de l’exposition qui est une plongée dans le
temps à un double titre. L’exposition montrée aujourd'hui veut reproduire en
effet au plus près une exposition organisée en 1934. Se joue alors pour nous
tout un jeu d’échos entre hier et aujourd'hui: Les cartels des tableaux
reprennent par exemple les titrages de l’exposition de 1934 et y ajoutent des
titrages contemporains faisant apparaître changement de noms, d’attribution, de
localisation et marquant ainsi les progrès de l’histoire de l’art. S’ajoutent
aux œuvres du 17° des oeuvres contemporaines de l’exposition, redoublant ainsi
cet effet d’écho. Une part non négligeable de la peinture de la première moitié
du 20° siècle a été marquée par la redécouverte de ces Maîtres Anciens chez
Derain, chez Balthus par exemple mais aussi de façon moins prévisibles chez
beaucoup d’autres, chez Picasso par exemple.
C’était aussi la première
fois que je retournais à l’Orangerie depuis sa réouverture. Après la visite de
l’exposition j’ai refait le tour de ses collections permanentes constituées
principalement par le legs Walter-Guillaume. Il n’y a pas énormément d’œuvres
et d’artistes représentés mais tout est de très haut niveau, permettant de
balayer avec cohérence la peinture de la fin du 19° au milieu du 20°. Et
beaucoup de ces oeuvres justement viennent en résonance avec l’exposition vue
juste avant. Derain qui n’est pas spécialement un peintre que j’apprécie est
très présent : et ici justement, parce qu’il se trouve éclairé par la
vision préalable de l’exposition, il me semble soudain prendre plus de sens,
trouver sa place.
Pour terminer j’ai fait un
tour auprès des Nymphéas. Il était sept heures moins le quart, juste avant la
fermeture. Les deux grandes rotondes étaient presque vides. Je me suis assis un
moment sur les banquettes puis je me suis posté à l’extrémité de la salle me
laissant peu à peu pénétrer par cette peinture qui m’enveloppait. J’ai pu avoir
la sensation assez rare de m’immerger dans cette peinture pour le coup
tellement différente de ce que je venais de voir, cette toile qui est comme un
décor, comme une présence immédiate, englobante de l’eau et des plantes,
appréhendée au fil de l’eau sans qu’il y ait besoin de composition structurée,
de limites ou de frontières, d’objets ou de récits.
Je suis sorti de ces deux
heures de visite où j’ai été soumis à de si forts contrastes visuels et
esthétiques dans un état d’assez grande exaltation avec en moi l’impression de
la puissance, de la grandeur de l’Art. Habituellement je répugne aux majuscules
sur ces sujets, mais là c’est vrai, je me sentais presque lyrique, comme habité
d’une intense impression d’Etre au Monde. Peut-être que l’état de tension
émotionnelle assez forte dans lequel je suis ces derniers temps a contribué à
me mettre dans cet état de réceptivité plus intense qu’à l’accoutumée. Ce
serait son bon côté !
Toujours porté par cet état, j’ai traversé le jardin des Tuileries lui aussi quasi désert dans la nuit jusqu’au Louvre et au quai, d’où, attendant le bus, j’ai contemplé la Seine, les bateaux mouche passant éclairés à mes pieds, les lumières aux beaux hôtels des quais de la rive gauche, le pinceau tournant de lumière de la Tour Eiffel, comme un phare. C’était beau. J’étais dans cette beauté.
Sur l'affiche une consonance Georges de la Tour/Magritte