Ricochet 2006: l'homme immobile
Non pas si immobile
que ça !
Il s’en passe des choses en
2006, de cheminements secrets en d’autres qui le sont moins, de textes écrits
et mis en ligne en rebonds qu’ils ont suscités (tiens déjà les rebonds, les
ricochets), de rencontres en ligne à d’autres très réelles et même pleinement
incarnées.
Mais puisque ça bouge un peu
il faudrait que ça bouge plus ! C’est cette conscience sans doute qui me
renvoie cette image d’immobilisme laquelle soudain m’agite en profondeur, me
fait ressentir des désirs, des envies que je croyais appartenir au passé,
créant de la frustration mais aussi ramenant en moi le sentiment d’être vivant.
Jusque là je m’étais
installé peu à peu dans la conscience d’une espèce de fatalité, d’une vie sans
aspérités mais non dépourvue de satisfactions, dans laquelle je savais qu’il y
aurait certes encore de biens beaux jours mais engagée tout de même dans un
lent affaissement, dans une lente descente vers l’ombre et dans lequel
l’essentiel était de conquérir l’acceptation de l’inévitable et la sérénité. Je
m’étais fait à cette idée d’être installé sans remise en cause possible dans
mon couple tranquille, triste sans doute que n’y pétille plus guère de désirs
mais satisfait tout de même qu’il existe quand je le compare à la situation de
certains de mes amis chahutés d’histoires douloureuses en histoires
douloureuses ou souffrant de leur solitude. Il existe, ce couple, avec ses
habitudes ancrées, sa présence réconfortante, ses complicités partagées, ses
restes de tendresse. Je m’étais fait à son silence sur l’essentiel, inscrit de
longue date comme son mode de fonctionnement dominant.
Mais ce silence là c’est le
nœud, le lieu véritable de l’immobilité !
Je me regarde dans la
glace : oui bien sûr il y a des signes de vieillissement concrets, ces
ridules incontestables (ridules ! allons pas de coquetterie : rides)
au coin des yeux, mon front plus haut, cet affaissement léger de mes chairs,
autour de mes hanches cette ceinture qui s’épaissit. Mais il y a aussi un sourire,
un regard qui est vivant, il y a par moments des étoiles qui s’allument dans
mes yeux. (Et je me souviens de cette expression qu’elle avait autrefois,
jadis, ma compagne : « tiens, tu as mis tes petites lumières ;
j’aime quand tu mets tes petites lumières »).
J’ai le sentiment que ce
changement de mon aspect est apparu d’un coup. Sans doute est-ce plutôt que
j’ai soudain commencé à le voir. Jusque là je gardais invariablement malgré les
années mon air de gamin prolongé, ma petite bouille lisse, mon corps mince et
léger à la sveltesse quasi adolescente. Illusion sans doute. Mais renvoyant à
une réalité psychologique profonde, à ce sentiment de n’avoir jamais été tout à
fait un véritable adulte, un véritable « Monsieur ». (Tiens ça fait
ricochet, ça, n’est-ce pas Anna Fedorovna?)
J’ai eu très longtemps un
sentiment d’incongruité à m’entendre appeler « Monsieur » (et je l’ai
même encore dans certaines circonstances). Il m’est arrivé même un peu plus
jeune d’avoir ce sentiment avec une telle force que j’en tournais la tête pour
voir à qui peut-être derrière moi on s’adressait. J’ai toujours eu cette
impression de n’être jamais tout à fait dans la vie d’un adulte responsable,
affirmé, ayant métier et famille, construisant avec sérieux et détermination sa
« carrière », sachant saisir ou provoquer les opportunités de
changer, de progresser, de s’élever. Je les ai joué à peu près ces rôles
sociaux et familiaux pourtant, et apparemment assez correctement, mais ça
n’empêche toujours avec ce sentiment d’en être un peu à distance. Etrange
dédoublement ! Pourquoi ? Sûrement que ça me mènerait loin d’y
réfléchir. Est-ce la figure interposée du père, comme si lui seul pouvait être
adulte, que toujours je restais son petit garçon ? Pas impossible !
Allez souris devant ta
glace, Valclair 2006 (et même 2007 puisque c’est le moment où tu écris). Tu
repenses soudain au film « La vieille dame indigne ». Souvenir flou,
film vu il y a si longtemps, mais souvenir fort, qui te parle plus qu’au moment
où tu l’avais vu, elle était chouette cette mamie et que sa leçon était belle.
Non bien sûr tu n’es pas encore « le vieil homme », on n’est plus
vieux désormais dans sa cinquantaine, (mais tu es dans le temps où tu sais que
ça va vite, très vite !). Il serait temps de jouer sans attendre la
partition de ce renouveau dont tu t’es convaincu qu’il est possible sous une
forme que tu ignores et dont tu ne dois pas avoir peur. Il faut l’acceptation
certes de ce qui est inévitable, il faut de la sérénité oui, mais qu’il y ait
place aussi pour de l’intensité encore