"Jeune fille":
J’ai terminé ce week-end
avec beaucoup de plaisir et d’intérêt ce beau récit d’Anne Wiazemski. Elle y
raconte ce moment essentiel de basculement de l’adolescence qui pour elle s’est
effectué dans un contexte peu banal, au cours d’un été, entre son année de
première et celle de terminale, où elle est s’est trouvée engagée par Bresson
pour être l’héroïne du film « Au hasard Balthazar ».
Il y a de pages intéressantes
sur la vie de la famille Mauriac (elle est la petite fille de François), sur
les tensions familiales à l’adolescence, sur les ressentis merveilleux de cette
période de la vie dans les moments du moins où on a le sentiment de la vie qui
s’ouvre : « Cette impression si nouvelle de faire enfin partie de
l’univers me bouleversait physiquement ». La relation amoureuse très
étrange qui se noue entre Bresson, cinéaste âgé, autoritaire et séducteur et la
jeune fille avide d’entrer dans l’âge adulte est décrite avec force, émotion et
subtilité.
Etre héroïne de Bresson
engageait d’une façon totale. Il ne s’agit pas seulement « de venir faire
l’actrice » le temps des prises mais bien d’accepter une relation
extrêmement intense avec le vieux maître, une relation de type amoureux même si
elle ne s’est pas traduite dans des relations sexuelles. Drôle d’homme que ce
Bresson ! Assez insupportable j’imagine, affreusement manipulateur mais on
comprend la fascination qu’il pouvait exercer. D’ailleurs comme pour
contrebalancer cette relation si intense, tout en appréciant d’être ainsi
courtisée par le maître, elle éprouve le besoin d’affirmer ailleurs son
autonomie. Elle choisit pour cela de séduire un membre de l’équipe technique
qui sera le temps d’un week-end son premier amant.
C’est intéressant aussi du
point de vue de l’histoire du cinéma. On y voit ce qu’est un travail d’acteur
avec Bresson, la façon dont il subjugue et vampirise littéralement l’actrice
sur laquelle il fait reposer son film. La réussite ne peut venir que de cette
fusion. Elle doit faire preuve d’une grande abnégation. Elle doit à la limite
s’effacer entièrement. Et en même temps, c’est le paradoxe, ce ne peut être
qu’elle, Bresson l’a choisie et pas une autre, c’est avec elle qu’il sent que
l’alchimie qu’il recherche peut s’effectuer. Il faut, dit-il, « qu’elle
supprime toute intention dans son jeu, qu’elle ne soit que voix pure, que texte
pur ». C’est une personne mais il faut qu’elle devienne pur objet de
médiation de la volonté du metteur en scène démiurge. Tout ça me donne envie de
revoir ce film qui ne m’a pas spécialement marqué (peut-être étais-je trop
jeune lorsque je l’ai vu) à la lumière de ce qui s’est joué pendant son
tournage.
La confrontation entre les âges de la vie est aussi un des ressorts du texte. Peut-être est-ce pour cela que ce n’est que maintenant qu’Anne Wiazemski l’aborde après de nombreux autres récits dont la thématique autobiographique était aussi évidente. « Votre jeunesse m’a rendu jeune… Souvent j’ai eu votre âge… Vous comprendrez plus tard » lui avait dit le vieux maître.
Quoi de plus
autobiographique que ce bouquin. Pourtant encore une fois il est présenté comme
« roman ». Je m’étais déjà étonné de cela à propos des « Mauvaises
pensées »de Nina Bouraoui. Choix éditorial m’avait indiqué en commentaires
certains lecteurs. Ici cette mention est encore plus absurde car on est dans un
texte qui s’affirme comme explicitement autobiographique visant à retrouver un
moment du passé dans la plus grande précision même si bien sûr l’auterue n’ignore
pas qu’il est forcément vu au travers des déformations du souvenir.