Sieste/fuite
Début d’après-midi. Le ciel
est tourmenté, à l’instant s’abat une averse de grêle. Je regarde par la
fenêtre, revient à mes papiers sur mon bureau. Je suis au travail, occupé à
rédiger un rapport qui m’ennuie profondément et que je dois terminer
aujourd'hui. Je n’y arrive pas. Je traîne une certaine accumulation de fatigues
et de mauvaises nuits ces derniers temps. Une somnolence violente s’est emparée
de moi. Je baille à me décrocher la mâchoire. Je rêve tout à coup d’avoir dans mon
bureau un canapé. Je rêve de m’allonger ne serait-ce que dix minutes, de fermer
les yeux, de m’assoupir peut-être. Il paraît qu’il y a quelques entreprises ou
ça existe, où l’on reconnaît les vertus de la sieste. Ce genre de considération
n’est pas arrivé jusque dans un service comme le mien. Cela paraîtrait
totalement incongru l’idée même d’une sieste ! L’idée de s’allonger au
bureau ! Il peut y avoir des heures et des heures perdues, des cafés qui
s’éternisent, des papotages futiles, des lenteurs de mise en route mais ça,
l’idée de se mettre un peu de sa bulle, de s’isoler, de déconnecter des autres
et de son personnage social de façon manifeste, ça ne se fait pas. Idiot quand
on y réfléchit ! Car un petit somme plutôt que de vasouiller avec la plus
totale inefficacité, ça ne ferait pas de mal, y compris pour la
« productivité ». Enfin voilà, ça m’a un peu réveillé d’écrire ces
mots...
Mais décidément non, ce
rapport je n’y arrive pas. Les "ricochets" c’est dur à écrire parce que trop
investi. Mais il peut y avoir l’inverse : des texte impossibles à écrire
parce qu’il sont tellement loin de soi et qu’on a le sentiment de manipuler des
mots vides, de la langue de bois administrative. Ce qui devrait se faire en une
heure ne parvient pas à sortir malgré les habitudes, les automatismes, les
formules apprises…
Finalement j’ai choisi la
fuite. J’ai pris mes cliques et mes claques et suis rentré chez moi en milieu d’après-midi.
J’ai encore cette chance, ce privilège relativement rare de pouvoir gérer mon
temps à peu près comme je veux en dehors bien sûr des réunions imposées. En
arrivant je me suis allongé sur mon lit, je me suis étiré comme un chat, j’ai
baillé bruyamment et sans contrainte, j’ai pris un bouquin, je me suis
vaguement assoupi. Tout ça avec un sentiment mêlé, satisfaction de cette
liberté que j’ai prise mais agacement de cette journée mal goupillée, de ce
sentiment d’être si souvent en dehors de moi, de ce boulot qui n’est pas fini
et auquel il va bien falloir que je m’attelle. Il est là dans ma sacoche, je
vais finir par le rédiger je le sais bien, mais j’aurais tellement envie
d’autre chose pour ma soirée, d’autres lectures, d’autres écritures, d’autres
pensées…
J’ai de plus en plus de mal
avec tout ça. Mais évidemment il y a aussi tout ceux qui sont privés de boulot,
qui en cherchent désespérément. Alors je ne me sens pas trop le droit d’être
dans la plainte non plus. L’idée ça serait de se secouer, de faire ça vite,
efficacement et de passer à autre chose…
Faudrait…
Allez, au boulot !