S'aérer d'images
En ce moment je ne croule pas de travail au bureau. Je ne perds rien pour attendre, s’approchent des journées qui seront très très chargées. Je laisse venir, je n’anticipe pas. Finalement le fameux : « organise-toi, profite-t-en pour t’avancer » il ne vaut que pour nos gamins ! Enfin pour moi c’est assez neuf de fonctionner comme ça. Il y a encore peu de temps lorsque j’étais dans de telles périodes calmes j’en profitais pour me donner le temps d’approfondir des dossiers non urgents ou pour penser et mettre en place de nouvelles initiatives. Tout ça c’est un peu mort. Je me contente de gérer, d’assumer les routines de l’indispensable et du coup dans le temps dégagé, je me mets même à penser à ma blogovie, à aller lire mes blogamis, voire même à écrire pour moi. Franchement je n’aime pas trop. Je me sens un peu schizophrène. Quitte à être au boulot, autant y être vraiment. Mais je n’arrive plus à faire autrement. Ma motivation professionnelle est plus qu’émoussée.
Du coup je suis sorti un peu plus tôt et j’ai été au ciné en fin d’après-midi. J’ai choisi un film qui n’est pas de ceux que j’aurais été voir en priorité. Mais j’avais envie de belles images et de partir loin dans le temps et dans l’espace. Envie de m’aérer. De m’aérer par rapport au boulot mais par rapport aussi à des quantité de choses qui ces jours ci me prennent un peu la tête comme disent les ados. J’ai été me poser devant « La Cité interdite » de Zhan Yimou, c’est le type même du beau spectacle, magnificence des images, jeu de couleurs, chatoiements des vêtements, chorégraphie des déplacements, virtuosité des combats... Derrière la somptuosite des décors, dans le secret des appartements privés, les puissants, personnages à la démesure shakespearienne, nouent dans la solitude les complots dont ils sont prisonniers. Derrière le brillant des apparences la noirceur des âmes !
Le film en met plein la vue, trop sans doute. Il se prend aussi un peu pesamment au sérieux, il n’y a pas cette pointe d’humour et de second degré qui faisait le charme d’un film comme « Tigres et dragons ». Ce n’est pas un film qui émeut, il n’y aucune possibilité d’identification avec les personnages, c’est un spectacle, un pur spectacle, mais c’est bien ce que j’allais voir.
Mais écrivant cette note je m’aperçois que depuis plusieurs mois je n’ai pas parlé des films que j’ai vu. Je n’ai pas trouvé le temps de faire ces petites notes que j’affectionne, qui m’aident à conscientiser pour moi ce qui me marque dans un film comme à donner, peut-être, envie à d’autres de les voir. Certains déjà sur lesquels j’avais pensé écrire juste après les avoir vus, s’éloignent. Alors juste pour mémoire je cite ceux qui m’ont plu et qui auraient mérité commentaire :
« A casa nostra », sombre, un peu pesant et démonstratif, intéressant cependant.
« Nue propriété », jusqu’où mènent les folies familiales, le jeu pervers entre douleur, insécurité de soi et machisme de jeune coq arrogant.
« Les Témoins », j’ai bien aimé sur le moment, les acteurs sont excellents, l’émotion présente, la description du climat émotionnel d’un temps à la fois proche et lointain est réussie mais il me semble cependant que le film s’éloigne vite…
Et puis d’autre chinoiserie tout récemment :
« Still life », qui m’a un peu déçu après la dithyrambe de la critique, un peu lent, un peu pesant, il m’est arrivé de bailler et ça aussi ça s’éloigne vite il me semble…
« Une jeunesse chinoise », bien, un peu confus par moments, mais inscrit dans l’histoire, la grande et puis les petites, des histoires qui peuvent nous être communes, celles de la désillusion des générations, j’ai eu l’impression aussi d’y voir de façon très émouvante un récit quasi autobiographique fait par le réalisateur comme s’il voulait en filmant ce beau et déchirant portrait d’une jeune femme qui ne trouve pas sa place, rendre hommage à un amour manqué.
Mais à me pencher sur ces films j’en retrouve d’autres, vus un plus tôt. Et je tombe même dans mes brouillons sur une note commencée et jamais publiée. Alors, allons-y, je profite de cet espèce de tour d’horizon improvisé pour les réinsérer.
« La Vie des autres », ça j’avais trouvé vraiment excellent, un film qui démonte de façon impitoyable les systèmes d’espionnage, pression, délation de la Stasi, (la séquence de blagues entre agents dans la cantine est tout simplement époustouflante), l’ensemble est très bien construit, la progression dramatique est parfaite, le suspense factuel et psychologique est intense. Et de surcroît c’est très émouvant, d’une émotion qui là aussi gagne progressivement à mesure que le film avance et que le flic sort de son rôle et s’humanise. Il y a eu des applaudissements en fin de séance ce qui est assez rare.
« Golden door », pas mal du tout, un peu chargé,
intéressant par la volonté de montrer les choses avec les yeux de la famille
sicilienne émigrante, avec ses naïvetés, ses croyances, ses fantasmes, ses peurs
voire ses terreurs. C’est parfois un peu lourd, trop chargé de symboles mais
tout de même c’est pas mal du tout. Il y a quelques scènes excellentes (le
moment où le bateau s’éloigne du quai par exemple, c’est magnifique, en
quelques plans fixes, avec quelques sons impressionnants, le bruit des moteurs
et des cordages, la sirène, on se trouve plongé dans l’appréhension, dans
l’anxiété des partants, qui en effet larguent les amarres au sens le plus
complet du terme) et d’autres moins convaincantes parce qu’elles sont
répétitives (les scènes d’arrangement de mariage) ou appuyé sur une symbolique
plutôt lourde (le fleuve de lait, une fois ça va, deux ou trois ça devient
lourd !).
« J’attends
quelqu’un », très émouvant, très fort, avec des acteurs tous excellents, c’est filmé avec
justesse, sensibilité. Les personnages sont un peu bancals, pas forcément
sympathiques, pas vraiment crédibles, les évènements qui se nouent entre eux ne
le sont guère plus et ne se structurent pas vraiment en une histoire, c’est
plus un morceau de vie, les personnages se sont croisés puis ils s’éloignent,
se perdent. Le film avance bizarrement, les rencontre entre les personnages
aussi, sans qu’on sache très bien où l’on va mais c’est comme la vie elle-même
finalement, aussi bizarre que la vie. Aussi improbable que soit cette tranche
de vie et c’est ça justement qui est fort, il s’en dégage une impression de
grande vérité humaine, donc une grande émotion. La scène par exemple où se noue
le désir entre Emmanuelle Devos/Agnès et Sylvain Dieuaide/Stéphane est superbe
et me reste dans l’oeil malgré le temps passé depuis que j’ai vu le film.
Décidément je ne pensais pas que j’allais reconvoquer autant d’images en démarrant mes quelques lignes sur « La Cité interdite ». Pas un hasard sans doute, ce soir, cette envie de s’aérer d’images…