Incertitudes
C’est peu de le dire. C’est
de l’understatement valclairien typique ça ! J’étais dans la panade morale
la plus totale oui. Une forme de dépression, osons le dire. Des journées de
vacances qui avaient tout pour que normalement je me sente heureux et pendant
lesquels je n’ai fait que tenter de surnager dans l’océan de mes doutes, vrillé
de surcroît par l’obsession du temps qui passe. Je suis avec mon père, vieux
monsieur très tonique (qui ne s’embarrasse pas trop quant à lui de ces questionnements,
heureux homme) et rejoue avec lui ce que je faisais avec mon grand père vingt
ans plus tôt et le temps se collapse. La cousine est devenue une vieille
cousine, la vieille cousine, une très vieille cousine que nous avons été voir à
la maison de retraite où elle achève sa vie jusqu’au bout de son déclin, Papa
jovial tente d’entrer en communication avec elle en évoquant quelques souvenirs
communs, et moi je m’imagine face à lui si vivant, si présent aujourd'hui dans
une même situation dans un souffle de temps plus tard. Serrault, Bergman,
Antonioni, morts en rafale, vieux bien sûr, mais la vieillesse est si vite là…
En plein milieu du chemin montant au lac une pie morte, toute fraîchement
morte, plumes ébouriffées, je me demande pourquoi, comment elle est tombée
précisément là, comme un signe, son image m’accompagne, et là-haut, tout le
temps que nous nous baignons, dans la belle lumière du soir je ne puis être
sans mélange dans l’instant, je suis aussi avec la pensée lancinante de
l’oiseau mort. J’ai beau me gargariser de mots comme « sérénité »,
« acceptation », « carpe diem », ce n’est pas pour autant
que je suis capable de la sagesse qu’ils portent en eux.
Arrivé ici je me suis senti
dépris de toute énergie. Le but d’être là est aussi d’accompagner mon père pour
qu’il ne passe pas les vacances seul et pour que nous fassions des choses avec
lui. Il faut donc prévoir pour chaque jour des ballades, des sorties. Je l’ai
fait plus ou moins laborieusement, sans le peps de l’entrain. Je ne suis pas de
bonne humeur, cela se sent, je me crispe et m’énerve de façon disproportionnée
sur de petits incidents matériels mineurs, du genre difficultés à installer les
vélos sur la galerie de la voiture, c’est ma façon à moi de manifester ce qui
ne va pas en m’en prenant aux choses inertes, mais je ne suis pas dupe et je
m’en veux de mes dérapages. Constance ne les supporte pas et me les renvoie
assez durement à la figure. Je lui demande un peu de compréhension. Il me
semble que je la tire assez souvent lorsqu’elle est déprimée, là j’aimerais
bien que ce soit elle qui tire un peu le charroi de l’organisation, de la
prévision, des courses à faire et des ballades à organiser. Mais ce n’est pas
son truc. Alors je tente de faire la moins mauvaise figure possible et de me
montrer tonique, mais c’est une tonicité qui me coûte et qui met de
l’électricité dans l’air.
J’ai toujours une certaine
ambivalence à l’égard de la maison où nous séjournons ici et qui fut celle de
mes grands parents. Le temps plus encore qu’ailleurs m’y semble réfracté. 1990,
c’est la date de la mort de mon grand père et pourtant je le vois comme si
c’était hier. Curieusement la mort de ma grand-mère intervenue six ans plutôt
me paraît elle bien plus lointaine, moins inscrite dans les murs même de la maison
et dans son environnement, mon grand père c’était la dernière présence
permanente, la dernière vie en ce lieu. Lorsqu’il est mort nous avons un peu
hésité à vendre ou à garder cette grande maison, mon père ayant déclaré que
même s’il aurait plaisir à y venir de temps en temps, il ne souhaiterait en
tout cas jamais quitter Paris. Moi au contraire j’ai toujours vaguement caressé
l’idée de m’y installer définitivement un jour. J’aime bien cette maison qui
est ancienne et qui a du caractère, un jardin plutôt grand pour une maison de
ville, j’aime la région où elle est située, au cœur d’une petite ville d’où
l’on est tout de suite à la campagne et avec Toulouse ville vivante que j’aime
beaucoup à proximité. C’est une maison bien adaptée pour y vieillir. Mon grand
père y est resté seul en parfaite autonomie, même déjà malade et affaibli, il
profitait de son jardin, il lui suffisait de sortir sur la place pour trouver
tout ce dont il avait besoin, son médecin à sa porte, les petits commerces sous
les galeries, la terrasse du café, le superbe marché du samedi. Ce n’est que
dans les tous derniers mois de sa maladie qu’il a fallu l’accompagner de façon
permanente, ma sœur qui ne travaillait pas à l’époque a pu venir s’installer
sur place et s’occuper de lui et il est mort dans son lit. Mais aujourd'hui
pour moi à l’heure où les échéances concrètes se rapprochent, où il faudrait
commencer à prendre des décisions, réfléchir à des travaux, où il ne s’agit
plus de vagues fantasmes je ne sais plus où j’en suis. Est-ce une bonne idée de
venir se mettre dans les pas de ceux qui nous ont précédés, leurs fantômes ne
pèseront-ils pas d’un poids trop lourd, pourra-t-on vraiment faire sien un tel
lieu ou restera-t-on quoiqu’on fasse dans la maison des grands-parents ?
Et n’est ce pas terrifiant aussi de penser une maison à l’aune de ses avantages
pour y vieillir, un signe en soi de vieillissement ?
J’ai voulu écrire. Dire
toutes ces choses noires qui passaient. Mais quel sens à le faire ? Il y a
l’aspect exutoire bien sûr. J’ai très souvent constaté que mettre en mots
m’aidait à sortir de mauvais moments. Il y a l’aspect communication aussi si
j’avais décidé de surcroît de mettre en ligne. La blogobulle me paraît très
lointaine. Je n’ai pas même eu envie d’aller jusqu’au cybercafé ne serait-ce
que pour y lire mes mails. Et puis communiquer là-dessus, bof... Rien de bien
neuf là-dedans, des déplorations d’une affligeante banalité, rien qu’un
grattage de nombril de plus. Quel intérêt pour soi et quel intérêt pour les
autres ? En tout cas je n’ai même pas eu l’énergie d’écrire ces jours là.
C’est que mes doutes s’inscrivaient dans une interrogation plus radicale sur le
sens de toutes ces écritures de soi de façon générale et de la place qu’elles
ont pris dans ma vie, directement ou indirectement. Ainsi je m’étais engagé
avant ces vacances à réaliser diverses tâches pour l’Association pour
l’Autobiographie, mais trop, c’est trop, je ne suis pas encore parvenu à m’y
mettre, je vois cela comme un pensum et du coup je me dis : qu’est-ce qui
se passe ? Si tout cela ne s’accompagne pas d’un minimum de plaisir quel
sens cela a-t-il ? N’est-il pas temps de tout réévaluer ? Mais tout
réévaluer c’est vertigineux !
Bref tout ça a fait
beaucoup. Là dessus j’ai eu une bonne migraine pendant deux jours comme je n’en
suis pas coutumier, assez paralysante, je me suis traîné, incapable même de
lire plus de quelques lignes, pas question d’ouvrir l’ordinateur évidemment et
de me confronter à l’écran si fatiguant pour l’œil. Ce n’était sûrement pas une
migraine de hasard. Enfin, elle est passé et avec elle ces affres qui l’avaient
précédée semblent s’éloigner.
Depuis hier ça va beaucoup
mieux. Il me semble que je réintègre le présent. J’ai eu un certain plaisir ce
matin à venir écrire ces mots (non que les doutes sur le sens de l’exercice en
soit pour autant effacés !), j’ai fait un premier pas concret en
contactant un architecte avec qui discuter de façon très, très exploratoire,
des modifications de fond qu’on pourrait envisager dans la maison. Je ne dis
pas qu’on les fera (se posent aussi derrière les rêveries potentielles les
questions de financement qui n’ont rien d’évident) mais c’est un premier
élément hors du pur fantasme. Je reprends pied.
(Ecrit le 04 Aout)