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Les échos de Valclair
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22 septembre 2007

"Le contraire de un"

Je peux aimer beaucoup ou même trouver admirable une nouvelle ou un texte à forme brève. Mais je n’aime pas trop en général en lire des recueils. Parce que le passage incessant d’un climat, d’une ambiance, d’une histoire à une autre fait que, ma mémoire étant ce qu’elle est, très vite tout se brouille, je n’en garde rien, un texte recouvre le précédent et l’efface sans qu’il ait eu le temps de tracer son sillon en moi.

Il n’en est pas de même pour ce magnifique ensemble de nouvelles d’Erri De Luca. C’est que ce qui les relie est très fort. Chacune a son unité, chacune pourrait être lue indépendamment des autres et en ce sens il s’agit donc bien des nouvelles. Mais elles sont fortement unifiées par le fait d’avoir un narrateur commun. Elles apparaissent alors comme des fragments d’une autobiographie, celle d’Erri de Luca ou celle en tout cas de quelqu'un qui partagerait avec lui bien des traits de personnalité, bien des évènements de la vie. Les textes ne suivent pas la chronologie mais ils s’éclairent les uns les autres, se renforcent mutuellement et dessinent progressivement un portrait dans une histoire de vie dans les tumultes du dernier demi-siècle. Ils me touchent sans doute aussi beaucoup parce qu’ils sont ceux d’un homme à peu de chose près de ma génération, qui a été marqué comme moi (quoique dans le contexte différent, plus violent, de l’Italie) par les engagements et les désillusions des années de l’après soixante-huit.

Y apparaissent dans le désordre un gamin napolitain, un militant d’extrême gauche pris dans les soubresauts quasi insurrectionnels des années 70, un trentenaire « dans le temps le plus désertique de sa vie après les années des révoltes vaincues », un ouvrier solitaire allant de chantier en chantier, roulant sa bosse jusqu’en Afrique, au pays des fièvres, un homme se ressourçant dans la nature et dans la pratique de la montagne et de l’alpinisme…

La langue est rugueuse comme l’est la vie du narrateur, c’est une langue simple, forte, drue, aux phrases courtes, ramassées, mais c’est tout le contraire d’une écriture blanche, c’est une écriture savoureuse aux images pleines de sève. Quelques mots souvent suffisent pour dire beaucoup, faire surgir des ambiances, des climats psychologiques :

Voici quelques phrases glanées, presque au hasard, juste pour donner une idée du style : Le voici au cours d’une sortie de pêche qu’il fit enfant : « au milieu des odeurs d’appât et de four, je me sentais membre d’une virilité commune, muette, parfumée ». Dans une forteresse en ruine qui fut une prison il s’appuie à « l’anneau de fer rouillé salé par la graisse des peines ». Marchant en forêt il se fond à la nature: « pour être accueilli dans un bois il faut chuchoter ses pas »…

La solitude est la modalité la plus courante de sa vie mais elle est ponctuée de précieux moments de communion collective ou de rapprochements amoureux. Ceux-ci souvent ne sont qu’à peine esquissés mais peuvent malgré tout s’inscrire en profondeur et dans la durée dans le cœur du narrateur, ainsi la main d’une femme serrée dans la sienne le temps d’un bref voyage en voiture ou ce qui se noue au long d’une difficile ascension avec une compagne de cordée « la bouche toujours à un souffle de l’embrasser ». La cordée d’ailleurs c’est le symbole parfait de ce « contraire de un » : « Nous sommes deux, le contraire de un et de sa solitude suffisante » (Dans la nouvelle « Le pilier de Rozes », l’une des plus belles…)

J’avais beaucoup aimé Montedidio, qu’on pouvait prendre pour un joli conte de Noël. Ce texte-ci est beaucoup plus âpre. Il est superbe. En le refermant j’ai envie de le relire, je le garde sur ma table de nuit pour en déguster à nouveau, par exemple à l’occasion de réveils intempestifs, certains des plus beaux récits.

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Commentaires
D
Avec la présentation que vous délivrez ici, et l'envie que vous savez transmettre... vous risquez que l'on vous souhaite de devenir totalement insomniaque :-)
Les échos de Valclair
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