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Les échos de Valclair
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11 octobre 2007

Minuscule anecdote métropolitaine

C'était ce matin dans le métro. Parti du terminus, je suis assis, installé avec mon bouquin, je suis en route pour une réunion. Il y a du monde mais la rame n’est pas surchargée, mais c’est l’ambiance toujours un peu sinistre du métro, visages fermés, chacun dans sa bulle. Il y a un type en face de moi. Il peut avoir une petite soixantaine d’année, il n’est pas grand mais large, râblé, le cheveu noir et le sourcil broussailleux, brun de peau, les pommettes saillantes, avec des yeux noirs, légèrement bridés, fortement enfoncés dans leurs orbites.

M’a traversé le terme « kalmouk ». Je ne sais trop d’où le mot m’est venu, je ne sais pas bien où c’est la Kalmoukie et si d’ailleurs ça existe autre part que dans l’imaginaire, en tout cas c’est un type que j’aurais bien vu rivé à son cheval, dévalant au grand galop à travers la steppe depuis les hautes terres mongoles.

Je sens le regard du type posé avec insistance sur moi. Je lève les yeux de mon bouquin. Il sourit. Je m’en sens presque gêné. Je jette un coup d’œil derrière moi. Y aurait-il un autre spectacle ? Mais non c’est bien moi qu’il fixe. Je le regarde à mon tour, vaguement interrogateur, je remets le nez dans mon bouquin, je l’observe du coin de l’œil.

Il tient à la main une cordelette, genre cordelette d’escalade. Avec il fait et défait des nœuds coulants, il serre ou relâche le lien. Cela a l’air de l’amuser beaucoup, il me regarde toujours. C’est légèrement pesant, ce pourrait presque être vaguement inquiétant.

Il me sourit. Moi aussi, de façon légèrement interrogative. Que faire d’autre ?

Il me dit : « Je trouve que vous avez de belles lunettes Oui cette forme va très bien à votre visage. Moi j’en ai deux paires, je ne les mets pas, il faut que je m’en fasse faire d’ailleurs, c’est bien simple, je n’y vois rien sans lunettes, je vois tout flou… »

Je suis un peu interloqué mais au moins il me donne de quoi rebondir :

« Mais alors, si vous n’y voyez rien, comment pouvez-vous dire que ces lunettes me vont si bien ? »

Il élude, il se lance, tout en continuant à jouer avec sa cordelette, dans diverses considérations sur sa vue qui n’est plus ce qu’elle était, sur le souci de vieillir, sur ces lunettes qui décidément me vont très bien, il y revient. Il parle avec douceur, gentillesse, en souriant, son élocution est claire, il n’a pas l’air d’être sous l’effet de l’alcool ou de quelque autre produit douteux. Tant bien que mal je glisse des phrases entre les siennes pour faire écho, pour faire réponse.

J’arrive à ma station. Je me lève et lui dis au revoir. « Au revoir » me répond-il « à dans une prochaine vie »…

Je croise le regard d’une jolie fille qui était derrière nous, elle me fait un grand sourire, manifestement elle a suivi avec amusement notre dialogue un peu surréaliste, dommage tiens qu’elle n’ait pas été aussi en face moi, peut-être aurions nous construit une complicité de regards.

En m’éloignant je garde un petit peu de mon sourire au coin du cœur. Pourquoi n’est-ce pas plus fréquent d’échanger de façon spontanée dans des lieux publics entre des gens qui ne se connaissent pas ? Même dans les trains il me semble que ça s’est perdu (sans doute les antiques compartiments étaient-ils bien plus propices que les rames de nos modernes TGV mais il n’y a pas que ça). Pourquoi se parler sans se connaître est-ce d’abord ressenti comme une incongruité ? Et pourquoi même d’ailleurs, si bizarrerie il y a comme c’était le cas ici, cette bizarrerie est-elle d’abord suspecte ?

La bizarrerie ça met aussi de la légèreté et de la poésie dans la vie. Merci, étrange kalmouk.

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Commentaires
D
"A une prochaine vie", joli, je trouve aussi, oui. Terrible aussi... Beau alors... Comme ce billet... Comme d'habitude...
A
Kalmouk, cela pourrait venir aussi de Colette: il me semble que c'est un adjectif qu'elle emploie à propos de sa soeur aux longs cheveux.<br /> "A une prochaine vie!" Quelle jolie façon de saluer.
N
En fait nous avons chacun notre espace de vie dans lequel nous n'aimons pas être envahi, c'est instinctif, comme les animaux mais je pense qu'il y a de plus en plus une part de social dans cet espace de vie, et que les gens se ferment de plus en plus aux autres...c'est regrettable, je vous le concède...je souris en pensant à l'inconnu qui vous offre des fleurs...sourire
S
Plus qu'anecdotique !! <br /> franchement drôle !! <br /> Fantaisiste et Délicieusement surréaliste :))<br /> Merci pour ce post si bien raconté qui m'a fait rire aux éclats !!<br /> Et quelle attendrissante poésie Kalmouk :))
G
"Pourquoi n’est-ce pas plus fréquent d’échanger de façon spontanée dans des lieux publics entre des gens qui ne se connaissent pas ?" : c'est marrant, moins maintenant que je suis plutôt sombre, mais pourtant encore, ça m'arrive tout le temps. D'ailleurs hier ligne 1, j'ai encre "vendu" un livre à une dame que ma lecture intriguait.<br /> Quand je suis de sortie avec le fiston, c'est exceptionnel si l'on ne se retrouve pas à causer avec d'autres voyageurs. <br /> Et je ne parle même pas du Vélib (il faut dire que ma longue (!) pratique et mon équipement maîtreéolassien me valent souvent d'être considérée comme une experte).<br /> Ni non plus des personnes qui commencent par me demander leur chemin et deux phrases plus tard me racontent leur vie.<br /> Du coup j'aurais presque tendance à trouver les gens trop causants.
Les échos de Valclair
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