Zapping temporel
Un blog ce n’est pas seulement sa surface au jour le
jour, c’est aussi sa profondeur, ce qui résulte peu à peu de l’accumulation
semaines après semaines, mois après mois, années après années de couches
successives d’écriture, un millefeuille de la vie.
Et pour moi ça commence à faire, voilà presque cinq
ans que je suis en ligne. Ce qui ne manque pas de déclencher un léger vertige.
Cinq ans déjà !
Je fais un tirage papier de mon journal tous les ans.
Ça me fait une grosse liasse par année, pour l’instant ce sont des feuilles
volantes dans une chemise, il faudrait au moins que je prenne la peine de les
relier. Mais de toute façon ce n’est que le texte, il n’y ni les photos, ni les
commentaires, ni bien entendu les liens. Il m’arrive de feuilleter. Le papier
certes c’est plus agréable pour une éventuelle lecture en continu. Mais
lirais-je jamais en continu ? Je ne pense pas. Redérouler le temps prend
vite un aspect angoissant, pour qui l’a écrit, pour qui l’a vécu, ramenant à la
figure du diariste la vanité de son entreprise, conserver l’inconservable,
arrêter le temps.
Par contre le zapping peut être agréable. Ça c’est la
magie des liens internes qui permettent de s’affranchir de la lecture linéaire,
d’ouvrir quasi simultanément plusieurs tiroirs du temps. On se fait ainsi à soi
même des clins d’œil mais parfois aussi quelques grimaces. Certaines anecdotes
ne nous disent plus rien, elles sont oubliées, en retrouver les mots n’y
changera rien. Dans d’autres cas le souvenir est encore là, tapi dans les
replis de la conscience, la lecture des mots peut en raviver l’image, ramener
plus fortement l’ambiance de l’instant. A moins que la lecture du texte écrit
sur le moment ne contredise au contraire le souvenir qu’on a gardé. Ah bon, ce
bouquin je l’avais perçu comme ça en le lisant, bizarre ! Tout est
possible, c’est ce qui crée les surprises et fait le charme de ce genre de
promenade à rebrousse temps.
En fait j’avais eu envie d’aller à la rencontre d’un
tout début. Je voulais retrouver quelque chose du moment où avait commencé de
se construire ce qui allait devenir une certaine blogobulle. C’était là. Je me
revois très bien dans ce café, attendant, avec l’inévitable pointe d’angoisse
de ce genre de situation, je revois très bien l’arrivée de celle que
j’attendais, son mouvement pour s’asseoir, son sourire, la façon dont les uns
les autres on s’est reconnus, le tour de chant lui-même, la jolie dame discrète
qui nous observait, le pot pris tous ensemble ensuite... Et de là j’ai eu envie
d’aller ici, à cette soirée qui fut le grand moment de cette blogobulle. Bien
des blogs dont elle se nourrissait ont disparu ou sont en sommeil. Qu’importe,
ce furent de très jolis moments qui restent pour eux-mêmes et il en reste des
amitiés oh combien vivantes, oh combien précieuses.
De là j’ai filé à mes tous débuts, retrouvant avec un
zeste d’émotion mes premiers balbutiements en ligne. Je dis toujours :
j’ai commencé à écrire en ligne au 1° janvier 2003. Vrai et faux. Tout était
prêt mais il m’a fallu presque un mois pour oser faire le clic décisif,
permettant de basculer dans l’océan extérieur, vers ce vaste monde qu’on
n’appelait pas encore la blogosphère. Et il m’a fallu encore une bonne
quinzaine pour commencer à me donner un peu de visibilité en osant m’inscrire à
la CEV.
Evidemment une fois rendu là-bas, dans ce vieux temps
du diarisme en ligne, je ne pouvais qu’avoir envie de cliquer sur les liens de
l’époque. La plupart évidemment mènent au vide. Pas tous. Ils permettent alors
d’entrer dans le temps passé d’autres diaristes, certains qui ont déserté leur
espace, d’autres qui sont toujours actifs.
Certaines préoccupations ne changent pas. Fixer le
temps déjà disait Eva. Elle le dit toujours, je le dis toujours, nous savons
parfaitement que la tentative est vaine, c’est là peut-être notre névrose
commune à nous tous diaristes au long cours, que nous soyons de papier ou de
clavier.
Amusant un moment cette plongée. Il ne faut pas en
abuser. La rétrospection ne vaut que pour enrichir le présent. Allez, j’ai des
mails à écrire pour préparer demain…