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Les échos de Valclair
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25 novembre 2007

"J'attirais, c'est tout"

Non ce n’est pas moi qui le dit, les guillemets s’imposent ! C’est Julien Green (Pléiade, V, p 924) qui a cette formule après avoir évoqué une anecdote de sa jeunesse.

Il le dit comme pour s’excuser de la facilité avec laquelle il aurait pu faire des conquêtes.

Il le voit comme une caractéristique inscrite en lui sans qu’il n’en ait aucune part, sans qu’il en sache la raison, presque, au sens propre, à son corps défendant.

La formule fait écho en moi. Je pourrais la retourner en la chargeant d’interrogations jusqu’à la douleur.

Je n’attirais pas. Pourquoi ?

Rien de physique à priori, je n’étais pas spécialement « bel homme » mais il n’y avait rien non plus de repoussant dans ma figure, j’avais des idées, de la conversation, de la culture, de la gaîté…

Et pourtant combien de fois dans mon adolescence et dans ma vie de jeune adulte ai-je été celui à qui on disait « je t’aime beaucoup » ou « soyons bons camarades » alors que j’aurais voulu entendre « je t’aime » ou tout simplement « viens ! » .

Cela m’a troublé. La multiplication des situations de ce type a fait que cette période a été difficile, me faisant perdre une part de ma confiance en moi, entraînant une dévalorisation de mon image à mes propres yeux. Il y a eu des exceptions bien sûr mais bien plus d’échecs que de succès et avec la multiplication des échecs, le questionnement récurrent : pourquoi ? pourquoi ?

C’est là que je perçois le paradoxe. Chez Green, tout dans l’éducation, l’idéologie, les valeurs aurait du créer des barrières, laissant la sexualité à l’écart (et c’est au fond ce qu’il aurait souhaité, il parle assez du « cauchemar de la sexualité »). Au contraire mes références idéologiques et morales (on était dans l’après mai 68 et mes parents avaient sur ces questions un discours libéral, tolérant d’intellos de gauche) auraient du faire en sorte que je sois à l’aise sur ce terrain, que j’accueille le désir en moi (ce qui ne manquait pas) mais aussi que je sois susceptible d’en susciter (c’est là que le bât blessait).

Je me souviens de discussions interminables là-dessus avec une amie très chère de ma jeunesse, appartenant à une vieille famille de la grande bourgeoisie catholique bordelaise, élevée en pension au Sacré Cœur et qui, très jeune encore, lorsqu’elle séjournait l’été chez ses parents, était capable de faire le mur la nuit l’esprit et le corps léger pour retrouver des amants, c'était une de celle qui m’aimait bien et que moi j’aurais voulu aimer.

Comme quoi ce qui compte n’est pas ce qui se joue à la surface des mots du discours familial, ou pas seulement en tout cas, il y a d’autres nœuds ailleurs dans des processus, souterrains, mystérieux.

Je disais avoir envie d’aller vers les femmes mais quelles barrières inconscientes dressais-je pour les tenir à l’écart, empêcher qu’il y ait une attirance mutuelle ?

D’où venaient-elles ces barrières, de quels nœuds en moi ou de quelles névroses secrètes de mes parents, derrière leur ouverture apparente ?

A moins qu’il ne se soit agi d’un processus purement biologique, se jouant dans l’alchimie secrète des cellules, d’une quelconque phéromone manquante ou déficiente ?

Ce mystère là je ne l’ai pas éclairci. Il est toujours à l’œuvre en moi. Pendant beaucoup d’années il a été sous le boisseau, la question ne se posant pas, mon couple suffisant à me satisfaire à tous points de vue. Mais passé le temps où il en a été ainsi, la fidélité (presque) sans accroc qui a été la nôtre au long d'un peu plus de vingt cinq ans de vie commune, n’a pas reposé sur un choix, une construction mais plutôt sur l’absence d’occasion, sur le fait que « ça ne s’est pas présenté » (version objective, neutre), que je n’ai pas su susciter des attirances qui auraient pu rencontrer mes aspirations (version subjective, plus cruelle). Ce n’est pas très glorieux à dire. Une fidélité par défaut en quelque sorte.

Et je ne peux que constater, alors même que désormais je me sens en volonté explicite de m’en délier, combien ces vieilles réalités restent prégnantes et font remonter vers moi ces questionnements douloureux de mon temps de jeune adulte.

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Commentaires
D
Merci Pierre : tu affines parfaitement ce que j'essaie de dire.<br /> Pour en remettre une couche, et même si tout n'est pas nécessairement réductible à ça, je suis d'accord, cela me semble relever d'un écartèlement entre les libérations progressives des modèles d'antan (essentiellement le modèle patriarcal hérité du XIXème) et leur persistance en nous, ne serait-ce que par l'image souvent chère des générations précédentes (parents ou grands-parents), de ce qu'elles ont appris et se sont efforcées de transmettre. Il y a conflit. <br /> D'ailleurs les "caractères masculins" dont tu parles, Pierre, sont ils profondément des "caractères masculins" ou des codes historiques de la représentation de la virilité ?<br /> Ah la la, en tout cas, voilà bien qui est au coeur des questions qui me passionnent le plus.<br /> Nécessairement.
P
Le commentaire de D&D me semble toucher un point important qui me tarabuste depuis quelques temps : les hommes tendres, attentifs, compréhensifs (les anti-macho, quoi...) paraissent attirer l'amitié féminine, mais pas vraiment l'amour. Comme si nombre de femmes appréciaient certains caractères bien masculins... dont par ailleurs elles se plaignent. Comme si l'homme dont elles rêvent n'était finalement pas assez viril pour les séduire vraiment.<br /> <br /> Bon, c'est caricatural et taillé à la hache, mais l'idée générale est là. Constatée à plusieurs reprises et reconnue à demi-mot par plusieurs femmes.<br /> <br /> Dans le sens inverse l'homme a aussi certainement des attentes peu conformes à ce qui le séduit réellement chez une femme. C'est peut-être un peu le sens du commentaire de Gilda.<br /> <br /> En tout cas il y a dans les relations de séduction quelque chose qui dépasse largement ce dont on a conscience, et on ne se choisit pas par hasard...
V
Mais si D&D tu es très clair, et c'est effectivement aussi une question que je me pose. Il n'y a pas que ça (heureusement!) et ce serait trop simple mais il m'est arrivé d'être surpris de voir comment certaines femmes pouvaient être facilement subjuguées par des machistes peu recommandables quitte à beaucoup souffrir après. <br /> <br /> Gilda ce que tu décris c'est encore une autre forme, on pourrait peut-être dire l'amoureuse Saint Bernard.<br /> Mais qui a en commun de faire se poser la questions : qu'est-ce qui en profondeur fait que peu ou prou en chacun d'entre nous et malgré l'expérience, malgré les années, on retrouve très fortement des récurrences dont on voudrait pourtant se débarrasser? Et d'accord avec toi sur le fait que la sexualité qui est une chose merveilleuse est belle de la tendresse et de la complicité sur laquelle elle s'appuie . <br /> <br /> Merci de ces coms trsè impliqués qui me font voir que ce billet que j'hésitais un peu à publier parce que je le trouvais un peu trop "intime" fait écho au-delà de nos expériences et parcours différents
G
Ton billet fait écho à des questions que je me pose depuis tout récemment (en raison d'un dernier développement surprenant dans cette vie que j'ai et qui me semble de plus en plus ne pas ou peu dépendre de moi comme si j'étais emportée par un courant chaotique sans avoir mon mot à dire ni ne pouvoir y résister) : si je meurs demain, j'aurais toujours été en amour (1) la consolatrice, celle qu'on aime quand on va pas, celle qui est là le temps de se refaire une santé ou de se consoler d'une autre et qu'on quitte après. Après tout, ça m'allait, j'ai pu ainsi partager de beaux et bons moments. Mais à force de souffrir de ruptures, pas celles qui furent franches mais celles non assumées par qui les initiaient, c'est moi qui finis par être rudement cassée.<br /> Et je me pose donc une question proche de la tienne : pourquoi pas moi, pourquoi jamais moi en amour principal, pourquoi n'ai-je de séduction qu'auprès des personnes en consolation et qu'après elles se lassent (mais pas moi d'elles, hélas).<br /> <br /> <br /> (1) la sexualité pour le pur plaisir physique ne m'a jamais intéressée, même jeune et pourtant j'ai eu cette chance inouie (mais négligée) de l'être avant le SIDA, il faut au moins qu'il y ait tendresse et complicité (sinon, je ne vois pas l'intérêt de se fatiguer pour un truc peut-être très fort mais fugitif et "mécanique")
D
Bon, alors moi je ne découvre ce billet qu'en retard, comme toujours, mais, à mes yeux, c'est encore un de tes plus beaux, cher Valclair. <br /> Sans vouloir faire l'analyste de comptoir, son écriture simple et précise, jamais facile mais toujours réellement sensible, est un vrai don : sa profondeur est sans complaisance et préserve la légèreté de ton écriture, sa grâce, et peut sans doute amener à de doux décalages de lectures ou de commentaires. Enfin, je trouve. <br /> Et puis, sans chercher à forcer l'identification, il y a beaucoup de choses qui résonnent pour moi dans le fond. Et "fidélité par défaut", je trouve ça terriblement dans le mille, et je te l'emprunterai, si tu permets. Cette expression m'est tout de suite chère mais pour d'autres raisons, qui ne sont pas le sujet ici. <br /> Sinon, rien qui concerne ici le "démon de midi" à mes yeux. <br /> Enfin, je me demande parfois, mais c'est une question très complexe et j'ai même peur de l'écrire - de peur de générer du malentendu -, si l'ennemi du désir n'est pas, parfois, non pas le discours ou l'intellectualisation - qui dans leur phase débordante sont les ennemis de la vie tout court, et ça tu le sais bien déjà, et Pierre aussi - mais plus étrangement l'expression du respect et de la sensibilité. Il y a cette chose paradoxale que je crois avoir observé souvent : les hommes dont la sensibilité n'est pas etouffée ou simplement bien masquée, et dont le respect envers les femmes est naturel et s'exprime aux antipodes d'un machisme traditionnel (dans sa forme acceptée voire souhaitée socialement); ces hommes-là se situent ou/et sont situés (ici, par les femmes donc) hors du champ de la séduction.<br /> En même temps, je crois que ça fait partie des choses qui bougent tout doucement... mais pas tant que ça. <br /> Seigneur, je ne sais pas si je suis très clair et je fais des phrases à rallonge. Est-ce que tu vois quelque chose dans mes élucubrations ou vraiment je déraille ?<br /> Amicalement
Les échos de Valclair
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