"J'attirais, c'est tout"
Non ce n’est pas moi qui le
dit, les guillemets s’imposent ! C’est Julien Green (Pléiade, V, p 924)
qui a cette formule après avoir évoqué une anecdote de sa jeunesse.
Il le dit comme pour
s’excuser de la facilité avec laquelle il aurait pu faire des conquêtes.
Il le voit comme une
caractéristique inscrite en lui sans qu’il n’en ait aucune part, sans qu’il en
sache la raison, presque, au sens propre, à son corps défendant.
La formule fait écho en moi.
Je pourrais la retourner en la chargeant d’interrogations jusqu’à la douleur.
Je n’attirais pas.
Pourquoi ?
Rien de physique à priori,
je n’étais pas spécialement « bel homme » mais il n’y avait rien non
plus de repoussant dans ma figure, j’avais des idées, de la conversation, de la
culture, de la gaîté…
Et pourtant combien de fois
dans mon adolescence et dans ma vie de jeune adulte ai-je été celui à qui on
disait « je t’aime beaucoup » ou « soyons bons camarades »
alors que j’aurais voulu entendre « je t’aime » ou tout simplement
« viens ! » .
Cela m’a troublé. La
multiplication des situations de ce type a fait que cette période a été
difficile, me faisant perdre une part de ma confiance en moi, entraînant une
dévalorisation de mon image à mes propres yeux. Il y a eu des exceptions bien
sûr mais bien plus d’échecs que de succès et avec la multiplication des échecs,
le questionnement récurrent : pourquoi ? pourquoi ?
C’est là que je perçois le
paradoxe. Chez Green, tout dans l’éducation, l’idéologie, les valeurs aurait du
créer des barrières, laissant la sexualité à l’écart (et c’est au fond ce qu’il
aurait souhaité, il parle assez du « cauchemar de la sexualité »). Au
contraire mes références idéologiques et morales (on était dans l’après mai 68
et mes parents avaient sur ces questions un discours libéral, tolérant
d’intellos de gauche) auraient du faire en sorte que je sois à l’aise sur ce
terrain, que j’accueille le désir en moi (ce qui ne manquait pas) mais aussi
que je sois susceptible d’en susciter (c’est là que le bât blessait).
Je me souviens de
discussions interminables là-dessus avec une amie très chère de ma jeunesse,
appartenant à une vieille famille de la grande bourgeoisie catholique bordelaise, élevée en
pension au Sacré Cœur et qui, très jeune encore, lorsqu’elle séjournait l’été chez
ses parents, était capable de faire le mur la nuit l’esprit et le corps léger
pour retrouver des amants, c'était une de celle qui m’aimait bien et que moi j’aurais voulu
aimer.
Comme quoi ce qui compte
n’est pas ce qui se joue à la surface des mots du discours familial, ou pas
seulement en tout cas, il y a d’autres nœuds ailleurs dans des processus,
souterrains, mystérieux.
Je disais avoir envie
d’aller vers les femmes mais quelles barrières inconscientes dressais-je pour
les tenir à l’écart, empêcher qu’il y ait une attirance mutuelle ?
D’où venaient-elles ces
barrières, de quels nœuds en moi ou de quelles névroses secrètes de mes
parents, derrière leur ouverture apparente ?
A moins qu’il ne se soit agi
d’un processus purement biologique, se jouant dans l’alchimie secrète des
cellules, d’une quelconque phéromone manquante ou déficiente ?
Ce mystère là je ne l’ai pas
éclairci. Il est toujours à l’œuvre en moi. Pendant beaucoup d’années il a été
sous le boisseau, la question ne se posant pas, mon couple suffisant à me
satisfaire à tous points de vue. Mais passé le temps où il en a été ainsi, la
fidélité (presque) sans accroc qui a été la nôtre au long d'un peu plus de vingt cinq ans de vie commune, n’a pas reposé sur un choix, une construction mais
plutôt sur l’absence d’occasion, sur le fait que « ça ne s’est pas
présenté » (version objective, neutre), que je n’ai pas su susciter des
attirances qui auraient pu rencontrer mes aspirations (version subjective, plus
cruelle). Ce n’est pas très glorieux à dire. Une fidélité par défaut en quelque
sorte.
Et je ne peux que constater,
alors même que désormais je me sens en volonté explicite de m’en délier,
combien ces vieilles réalités restent prégnantes et font remonter vers moi ces
questionnements douloureux de mon temps de jeune adulte.