"Drôle de jeu"
J’ai commencé donc cette
relecture de Roger Vailland, dont ma participation à la soirée anniversaire à
la cinémathèque m’avait donné l’envie. Je me demandais si cet auteur que
j’avais lu avec enthousiasme pendant mon adolescence et qui est aujourd'hui un
peu oublié pourrait m’accrocher encore ou s’il me paraîtrait très démodé.
J’ai pu retrouver chez mon
père mon exemplaire de « Drôle de Jeu », version livre de poche, un
volume défraîchi avec cette odeur particulière des vieux livres de poche
imprégnés de poussière, ce papier jauni au contact pas très agréable.
Au départ ce n’était pas
évident. J’ai été frappé par un certain côté convenu, artificiel des
personnages et des dialogues, comme s’ils étaient là pour représenter des types
et permettre des oppositions faciles entre eux et, puisqu’ils se rencontrent,
de donner lieu à des discussions où chacun présente sa philosophie de la vie,
de l’engagement, de l’amour : Marat, le personnage principal, libertin jouisseur
trouvant sens à sa vie dans l’engagement résistant sans pour autant renier sa
vie passée et qui est l’évident porte-parole de Vailland, la femme du monde
décavée et les milieux collaborationnistes qui l’entourent, le jeune communiste
puceau au militantisme désincarné investissant tout son affectif dans la cause,
la jeune femme renâclant à l’engagement qu’elle ne perçoit que comme un jeu
dangereux au bout duquel on ne trouve que la mort.
Mais à mesure que j’ai
avancé dans ma lecture cet aspect m’a moins gêné. Comme si finalement je
rentrais dans le tableau, comme si l’aspect artificiel s’effaçait devant la
vivacité de la peinture et la réalité sur le fond des débats qui traversent les
personnages.
Il y a des moments forts,
véritablement émouvants, ceux où l’on sent Vailland s’exprimer pour lui-même
dans toute ses dimensions contradictoires : on l’entend à travers les
rêveries du terroriste en promenade seul avec ses pensées ou bien lors de la
parenthèse qu’il s’accorde lorsqu’il rejoint sa maison campagnarde, à travers
aussi les considérations qu’il donne sur son propre engagement, cette
révélation à lui-même qu’a entraîné la guerre, la rupture avec le passé qui
fait que « toute sa vie était dans l’avenir » mais la conscience en
même temps que ce « jeu » prend ses racines dans le fond tragique de
toute existence humaine.
C’est un livre intéressant
aussi en tant que document qui donne des éléments d’information sur la France
de 1944, dans l’attente du débarquement, sur les modes opératoires de la
résistance, sur les types humains qu’on pouvait y rencontrer et sur les
motivations qui pouvaient être à l’œuvre. Vailland précise d’emblée qu’il ne
s’agit pas d’un roman historique sur la résistance. Il fait pour le besoin du
roman se rencontrer et s’articuler dans le temps bref de quelques journées des
personnages dont la conjonction est hautement improbable. Mais n’empêche, il se
dégage du texte des images et une ambiance qui, si l’on n’en reste pas à la
lettre, me semblent puissamment évocatrices de la période.
Ce qui m’a amusé aussi, et
même un peu ému, c’est de retrouver, plié entre les pages, une feuille de
papier où j’avais noté quelques phrases qui m’avaient marqué : je ne suis
pas si étonné que ça d’y trouver justement certaines de celles qui aujourd'hui
me paraissent un peu caricaturales, trop lourdement démonstratives. Ce sont
celles-ci qui frappaient le plus l’adolescent cherchant des propos clairs et
bien dessinés pour alimenter ses propres certitudes naïves autour de son propre
engagement.
J’aime à croiser celui que
j’ai été à travers mes lectures passées, c'est ça aussi le plaisir de la relecture.