Parenthèse normande
Nous voici de retour. Il
nous a fait du bien ce petit voyage. On y a cassé les quotidiennetés, on y a
mis de côté ce qui pèse. Qu’il aie conduit à un quelconque Temps Retrouvé,
qu’il aie rallumé de quelconques étincelles de cœur, non, ça c’est une autre
histoire, d’ailleurs y croyais-je le moins du monde...
Le départ n’a pas été
évident, j’ai vu le moment où on allait renoncer ! Dans la journée de la
veille des ennuis ont commencé à pointer leur nez : Bilbo a été malade
comme un chien, grosse crève avec fièvre, on était un peu embêté de devoir le
laisser même si le médecin nous assurait qu’avec les anti-fièvre cela irait
très vite beaucoup mieux. Les feux de freinage de la voiture ne fonctionnaient
plus, on a dû faire changer une pièce in extremis jeudi après-midi. Moi même
j’ai commencé à me sentir patraque pendant la nuit et me suis levé le matin du
départ avec la gorge qui grattait sérieusement et l’impression que je couvais
quelquechose. Je n’ai pu m’empêcher avec ma capacité à voir toujours le négatif
de sentir là de bien mauvais signes. Et en plus il ne faisait pas gai du tout,
un tenace brouillard pesait sur Paris…
Malgré tout, on est parti,
je savais bien que renoncer aurait été pire mais je ne me sentais pas vraiment
dans l’allégresse, c’est un doux euphémisme, à laquelle devrait donner lieu un
départ attendu.
Au bout de 30km je réalise
tout à coup qu’ayant à la dernière minute, sur la foi de bulletins météos
annonçant un temps plutôt doux, troqué mon manteau contre une parka plus
légère, j’ai laissé mon portefeuille dans la poche du manteau. Je n’ai rien, ni
argent, ni papiers, ni carte bancaire ! Ça me fiche un coup de plus. Un
signe là encore. Pourtant en soi ce n’est pas foncièrement grave, Constance à
ce qu’il faut mais c’est étrange comme psychologiquement cela déstabilise,
donnant soudain le sentiment d’être nu, démuni, comme privé de soi-même.
Etrange tout de même et inquiétant ! Comme si nous étions définis par ces
petits rectangles de plastique, appendices de nous-mêmes qui ne nous quittent
plus dans notre moderne civilisation, nous faisant oublier presque que c’est
ailleurs que nous nous tenons ! Bon, après on s’y fait mais l’impression
première était violente !
Peu après Rouen le temps
s’est levé. J’ai cessé de penser à ma gorge irritée. Nous avons décroché de
l’autoroute pour aller visiter Jumièges. Nous y étions à midi et sous un soleil
éclatant. Quelle beauté ! Quelle puissance que ces ruines qui sont un peu
plus que des ruines par leur ampleur. Nous y avons déambulé pendant une heure
et, fait à peine croyable, nous n’avons croisé personne, absolument personne.
Il y avait de la magie là-dedans.
Et du coup, oui, je suis entré dans la parenthèse…
Nous rejoignons notre chambre d’hôte, dans une villa cabourgeoise un peu vieillotte et pleine de charme, donnant sur les jardins du casino. D’emblée nous voici dans l’ambiance, nous partons faire une longue promenade le long de la digue, je me gèle (décidément ce manteau laissé à Paris !).
Samedi matin nous allons à Dives à pied. Après les villas de Cabourg nous traversons la passerelle, longeons le nouveau port de plaisance, passons devant la fonderie aujourd'hui fermée et des alignements de petites maisons ouvrières, Dives anciennement populaire, mitoyenne du riche Cabourg, il en reste quelquechose ne serait-ce que le nom de l’avenue principale, Maurice Thorez, un signe qui ne trompe pas. Nous arrivons dans la vieille ville très animée, c’est jour de marché autour et dans la vieille halle aux superbes charpentes.
L’après-midi nous prenons la voiture et allons à Houlgate. Certaines villas ici sont encore plus tarabiscotées et extravagantes qu’à Cabourg, elle s’étagent sur les pentes raides du coteau ce qui enrichit les perspectives, nous grimpons jusqu’à la table d’orientation au-dessus des falaises des Vaches Noires, le vent a opportunément nettoyé le ciel couvert de ce matin. Nous rentrons par des petites routes plus à l’intérieur, allons jusqu’à l’estuaire de l’Orne et marchons encore un moment en face d’Ouistreham tandis que la nuit tombe.
Après le dîner nouvelle
promenade sur la digue. Devant le grand hôtel je m’amuse à recopier quelques
phrases de Proust évocatrices du lieu. Je ne résiste pas à celle-ci :
« Et le soir les
sources électriques faisant sourdre à flot la lumière dans la grande salle à
manger, celle-ci devenait comme un immense et merveilleux aquarium devant la
paroi duquel les pêcheurs et les familles de petits bourgeois, invisibles dans
l’ombre, s’écrasaient au vitrage pour apercevoir, lentement balancée dans les
remous d’or, la vie luxueuse de ces gens, aussi extraordinaire pour les pauvres
que celle de poissons et de mollusques étranges ».
Quel styliste ! Quelle formidable force d’évocation. Me contentant pour ma part d’un simple coup d’œil à la dérobée sur les dîneurs, je m’évade par cette puissance de la littérature dont les images sont, sous de grandes plumes, plus riches même que ce que voient nos yeux.
Dimanche à notre lever le temps est magnifique, longue promenade sur la grève de la plage à marée basse, le sable dans la lumière du matin est d’une superbe couleur ocre, nous marchons au soleil tandis que la plage s’anime peu à peu, promeneurs, joggers et beaux chevaux au trot ou au galop tirant de légers sulkys.
Nous quittons Cabourg par la côte et nous arrêtons à Honfleur. Nous y déambulons une bonne partie de l’après-midi, c’est un peu trop envahi de promeneurs pour le coup et il y a une animation culturalo-commerciale sur le vieux bassin qui pollue sérieusement l’ambiance, mais que c’est beau aussi avec cette lumière d’hiver éclatante, nous voyons le soleil basculer, réchauffant l’un puis l’autre côté du vieux bassin.
Voilà, ce furent finalement
quelques jolies gouttes de temps présent. Quelques gouttes mais sacrément
bonnes à prendre. Le fiston à notre retour allait beaucoup mieux, le voici sur
pied pour sa soirée de réveillon et moi je n’ai plus mal à la gorge…
Là dessus, je vous laisse,
je m’en vais préparer quelques petites douceurs pour un réveillon modeste et en
très petite compagnie…
Bons voeux à toutes et
tous !