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Les échos de Valclair
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7 avril 2008

Sohie Calle: "Prenez soin de vous":

J’avais jusqu’à présent une opinion assez mitigée du travail de Sophie Calle. Je le connaissais pour avoir feuilleté ici ou là certains de ses livres, entendu parlé de certaines de ses performances, le tout me paraissant assez artificiel et un tantinet provocateur. J’ai toujours le petit soupçon qu’il n’y ait derrière des attitudes volontiers exhibitionnistes plus de calcul mercantile que d’exigence artistique personnelle ou de mise en jeu cruciale de soi.

J’ai été dimanche voir l’exposition « Prenez soin de vous », dans les locaux de l’ancienne Bibliothèque Nationale, rue Richelieu. J’ai pris le temps et je suis ressorti vraiment emballé.

L’exposition reprend et adapte l’installation présentée l’an dernier à la biennale de Venise. Elle est disposée dans la magnifique salle Labrouste où furent autrefois les collections de périodiques et où je n’avais pas mis les pieds depuis des années, depuis le temps lointain où j’avais fréquenté ces lieux lorsque j’avais démarré une thèse vite avortée. Et déjà c’est un choc d’en retrouver les vastes coupoles, les longues travées de bois des tables de travail, éclairées par les lampes de bureau en cloche diffusant une lumière douce, de s’y asseoir à nouveau pour y regarder défiler des vidéos sur des écrans disposés ici et là ou pour scruter sur les murs les installations grands formats. Il y avait du monde mais la salle et la disposition permettait néanmoins une ambiance feutrée, intimiste, propice à la rencontre avec chacune des pièces présentées.

Le point de départ de « l’œuvre » est un mail de rupture reçu par Sophie Calle, un texte très écrit, très littéraire, dans laquelle elle est vouvoyée, une lettre exprimant à coups de formules bien tournées les regrets de l’amant à devoir mettre un terme à une relation qu’il juge désormais impossible.

Une éclairante vidéo montre Sophie Calle interrogée par une médiatrice familiale. Décor : deux fauteuils, l’un dans lequel est assise Sophie, l’autre qui est vide, ou plutôt non, sur lequel repose la feuille de papier sur laquelle est écrite la lettre. La médiatrice fait parler la lettre et interroge Sophie qui commente avec finesse aussi bien le texte que la relation qu’elle entretenait avec l’homme qui la quitte. La lettre se termine par « Prenez soin de vous ». Elle juge que cette formule est une fermeture qui clôt tout dialogue, qu’elle n’a pas à répondre à un tel mail mais plutôt à s’en emparer pour elle-même. « J’ai décidé de rendre publique cette lettre, d’en faire un objet public, ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai pris soin de moi, comme il m’avait demandé de le faire ».

Elle adresse alors ce courrier à 107 femmes de diverses professions, âge et conditions, en leur demandant d’y réagir, avec leur subjectivité mais aussi avec les spécificités portées par la profession ou l’art de chacune : Et voici donc la lettre décortiquée par la psy, par la juge, par la commissaire de police, par la joueuse d’échecs, par la comptable, par la correctrice d’édition, traduite par la latiniste ou par l’angliciste ; la voici lue par des actrices qui s’expriment à travers leurs personnalités différentes et traduisent ainsi autant de registres dans lesquelles la lettre a pu être reçue ; la voici magistralement portée par une femme clown, c’est très drôle mais profond aussi, ça accroche en trois mimiques et mouvements de main les vérités de l’amant qui s’enfuit ; la voici interprétée par des chanteuses, de Nathalie Dessay à Diam’s, mise en note par des musiciennes, dansée par des danseuses ; la voici commentée de façon lapidaire par une adolescente : « il se la pète » ou bien résumée en quelques lignes par une écolière de CM2 qui au fond a tout compris et qui conclut : « c’est triste ». (Remarquez la jolie succession de points-virgules, c’est un petit clin d’œil spécial Fuligineuse !)

Celui qui a écrit la lettre de rupture ne se doutait pas que sa voix serait ainsi démultipliée. Ce serait amusant de savoir comment il le perçoit. Sans déplaisir sûrement, à voir ses mots devenir matrice d’une œuvre. Car sa lettre, dans son souci de la forme comme dans l’image qu’il cherche à donner de lui, a quelquechose de ces correspondances d’écrivains dont on sent que l’auteur tient compte en l’écrivant qu’elle pourrait figurer un jour dans ses œuvres complètes.

L’ensemble est émouvant mais aussi ludique et jubilatoire. Le public à l’évidence se sent concerné personnellement, bien plus que dans une exposition artistique classique, c’est sensible dans l’attitude qu’il adopte, dans les regards qu’il porte. Á son tour il entre en résonance, à notre tour nous entrons en résonance.

Cette démarche s’apparente en grand à ce que nous faisons en petit dans certains de nos blogs: mettre de l’intime en jeu dans la sphère publique, voir les échos qu’ils suscitent, puiser dans ces échos des éléments de notre propre avancée, bref se construire soi-même par cet acte de mise en jeu. Il est donc loin d’être, ce dont on aurait tendance à l’accuser, un exhibitionnisme gratuit. Il est plutôt reconnaissance de ce que le regard d’autrui peut apporter à chacun, pour créer une oeuvre, pour se créer soi, ou comme c’est le cas ici pour se créer soi en créant une oeuvre.

Gilda parle aussi de cette exposition et elle le fait, comme à l’accoutumée, avec intensité, avec tout son cœur et toutes ses tripes.

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Commentaires
G
Merci Valclair, mais tu sais mon cas concernant cette expo est un peu particulier (même si je l'avais moi-même un peu oublié, je ne sais par quelle étrange amnésie de la résilience). <br /> Il y a des gens aux travails artistiques ou créatifs dont on admire ce qu'ils font et qui quand on les croisent sont décevants : en fait c'est le meilleur d'eux-même qui apparait dans leur création et pour le reste ils sont comme tout le monde voire même pas sympas. D'autres au contraire sont formidables et la part visible de leur travail ne donne qu'un petit aperçu de leurs qualités, de leur humanité. Sophie Calle fait partie de ceux-là. L'amitié pour elle n'est pas un vain mot et c'est quelqu'un qui sait bosser et que rien n'arrête quand elle a une cause à défendre.
V
Oui Ségo. Et il ne suffit pas de mots bien tournés. Ils sont ici analysés au scalpel de toutes les façons possibles et leur auteur n'en sort pas grandi. Donc plutôt que Messieurs les amants à vos plumes, il faudrait dire Messieurs les amants à vos coeurs.<br /> (Et d'ailleurs aussi, Mesdames les amantes à vos cœurs)<br /> Et que la plume soit le reflet du cœur!
S
J'ai découvert Sophie Calle il y a deux ou trois ans, avec le " rituel d'anniversaire ", à l'image de ce que tu dis, moi aussi j'étais réservée avec cette impression de superficiel...et je te rejoins tout à fait, car finalement elle a su inverser mon regard sur son apparente légèreté, et sa désinvolture relève bien de l'expression de soi et d'une démarche artistique qui aborde l'humain en profondeur. D'où sa résonnance...<br /> Prends soin de toi au final c'est aussi nul qu'une pub de garnier :))<br /> Messieurs les amants à vos plumes :))
Les échos de Valclair
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