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Les échos de Valclair
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21 avril 2008

Lecteur d'Annie Ernaux

J’ai participé hier pour la seconde fois aux rencontres littéraires organisées un dimanche par mois au café « Les marcheurs de la Planète ».

Il s’agissait cette fois d’une rencontre autour d’Annie Ernaux.

C’est une auteure que je lis depuis fort longtemps et que j’apprécie dans l’ensemble beaucoup. J’avais parlé ici déjà de « Passion simple » et « Se perdre ». Ernaux est une autobiographe et qui va au plus nu de son intimité mais son récit sur elle-même est consubstantiel d’une parole sur le monde qui l’entoure, dans lequel elle s’inscrit. Ernaux est la preuve la plus accomplie que travail autobiographique ne veut pas dire nécessairement repli sur soi, narcissisme, contemplation soit éblouie et autosatisfaite, soit douloureuse et autodépréciative de son propre petit nombril mais qu’elle peut-être une façon de saisir son siècle en se saisissant soi.

J’ai lu « Les années » bien sûr et j’ai trouvé ce livre admirable, véritable concentré de son œuvre. Je m’aperçois que je n’en avais rien écrit ici, à la fois sans doute parce que je l’ai terminé dans l’avion qui me menait en vacances en Bulgarie et que je n’ai pas eu le temps de rédiger mes impressions à chaud. Et ensuite parce que j’ai travaillé ce livre pour un article ailleurs, écrit dans une tonalité moins subjective que mes articles de blog, mais je n’ai pas eu envie de m’y recoller pour donner quelquechose ici.

Annie Ernaux balaie dans ce livre soixante années de sa vie, soixante années de la vie d’une femme et soixante années d’évolution de notre société. Elle parvient ainsi à ce qu’elle définit comme une « autobiographie impersonnelle ». Elle dit, à travers les mots, les images, les « rumeurs » qu’elle capte dans les temps et les espaces sociaux qui ont été les siens, bien plus sur la société que de savants traités d’économie ou de sociologie. Le livre est aussi profondément émouvant parce qu’il s’inscrit à l’ombre du vieillissement, de la perte et de l’effacement, de la mort inévitable, ce moment « où toutes les images disparaîtront ». Il est la façon pour Ernaux de tenter de retenir, de « mettre en forme son absence future », de « sauver quelquechose du temps où l’on ne sera plus jamais ».

Dans les dernières pages du livre elle explique ce que fut sa démarche, très longuement mûrie, pour aboutir à ce récit et ce faisant elle éclaire il me semble bien plus que le livre présent, elle éclaire toute son œuvre.

Marc, l’animateur de cette rencontre, avait proposé à ceux qui le voulaient de lire des extraits d’Ernaux. J’ai eu envie de lire ces quelques dernières pages pour tenter de les faire partager. Je sais que j’aime bien lire en public. Mais je l’avais fait jusque là uniquement pour des textes écrits par moi et dans le contexte d’ateliers d’écriture avec un petit nombre de personnes déjà connues. Là c’était autre chose car il s’agissait de lire devant des inconnus et sans être chauffé par le travail commun préalable de l’atelier. En plus ce texte n’est pas très facile à oraliser. Il est fait de longues phrases, de considérations qui sont des réflexions, la description d’une démarche. Les textes que j’avais eu l’occasion de lire auparavant étaient plus faciles à théâtraliser et donc à rendre vivant. Mais enfin j’ai l’impression que je suis parvenu à bien lire, que c’est bien passé. Il y a un vrai plaisir à se faire passeur d’un texte que l’on aime bien. Ce qui m’a frappé surtout c’est que j’ai senti que le texte à mesure que je le prononçais à haute voix, sous le regard des auditeurs/spectateurs, m’investissait bien plus que dans une lecture silencieuse. J’ai eu l’impression, dans les toutes dernières lignes, lorsque Ernaux évoque certaines de ces images qu’elle tente de sauver et qui ne seront plus jamais, j’ai eu l’impression que ma voix se chargeait d’émotion, au point presque de se nouer. Vraiment c’était un plaisir cette lecture. Et c’était très plaisant ensuite d’écouter les lectures des autres, de sentir les textes se charger des affects que chacun avait à y mettre.

J’aime beaucoup cette formule, l’échange qu’il suppose entre le lecteur et le texte, entre les lecteurs, entre les lecteurs et le public. Merci à Marc de l’avoir mise en place. Je pense que je reviendrai à ces rencontres et j’aurai envie sûrement de lire encore. La prochaine fois ce sera autour d’Henri Miller. Je l’ai peu lu. J’ai quelques souvenirs de lecture d’adolescence, un des volumes de la Crucifixion en Rose dont l’érotisme solaire m’avait bien alléché, mais je ne me souviens même plus lequel des trois, « Le colosse de Maroussi » aussi dont je ne me rappelle plus grand chose non plus, je me souviens seulement que ce récit m’avait beaucoup plu. Aïe, encore des candidats pour rejoindre mon imposante Pile à Lire…

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Commentaires
V
J'aime que tu aimes Ernaux, Mabel, et je me doute bien qu'au delà de l'écrivaine elle peut jouer pour beaucoup de femmes un rôle important dans leur évolution, qu'elle puisse être un modèle d'identification.<br /> Merci pour le lien vers cette intéressante vidéo
M
Ton post, Valclair, concernant ton Week-end culturel, m'a fait ramenée aux posts "Annie Ernaux". J'ai beaucoup aimé ta façon de parler de son travail et de ce qu'elle a apporté à la littérature.<br /> En ce qui me concerne, il y a un avant et un après Annie Ernaux. Pour plusieurs raisons:<br /> Premièrement, Annie Ernaux est une femme. Cette remarque évidente pour dire que j'ai été bouleversée dès le premier livre "l'évènement" par ce fait. Comme si, ce n'était plus anecdotique ou secondaire. C'est une femme qui raconte ce qu'est d'en être une. J'ai vraiment éprouvé cette légitimité à être femme et à vivre toutes ces choses qui sont à la fois sources de force et de fragilité. Pour moi, lire Annie Ernaux, ça a été prendre la main de celle qui avait déjà traversé tous les orages et qui ne regrettait rien. Ce fut l'autorisation pour moi de ne pas refouler mon vécu intérieur, mon ressenti concernant ma vie de femme. Chez Annie Ernaux, il n'est pas question de sexe faible ou fort. Il est question d'être une femme et de se battre pour le rester sans tomber dans la victimisation.Etre femme mais pas forcément douce et fleur bleue. Etre un être de frissons, de débordements, un être qui ne cache pas sa part sombre et ses hontes. Jamais Annie Ernaux n'est victime. En fonction de ce qu'il lui arrivait, elle faisait ce qu'elle avait à faire. "la femme gelée" est une invitation à vivre ce que l'on a à vivre. Que l'on soit homme ou femme, il y a des barrières à faire tomber afin de VIVRE. Quant à "se perdre" et "passion simple", j'ai lu ce que tu en a écrit, c'est très émouvant ce que tu en dis. Ces deux bouquins, surtout "se perdre" parce que moins de recul, m'ont secouée, ramenée à la vie. Pour moi, ses livres sont autant d'invitations à ne pas tricher et à ne pas perdre de temps.<br /> D'autre part, c'est l'auteure qui m'a emportée dans son sillage. Son écriture et sa capacité, parce que tel est son désir, de livrer l'intime pour témoigner aussi de l'universel. A ce propos, écoutez-la parler des "années" et de son travail en général:<br /> http://bibliobs.nouvelobs.com/20080222/3454/en-video-annie-ernaux-ou-sont-passees-nos-esperances<br /> <br /> En tout cas, c'est ce genre de femme que j'espère être...
D
J'ai lu le livre le week-end dernier. Magnifique. C'est livre qui ne peut que rappeler des choses, des événements, des petits riens à chacun d'entre nous. C'est le premier livre que je lis d'elle et je viens d''en faire un billet. Je conseille ce livre à toutes les générations.
V
Quelques précisions en réponse aux uns et aux autres:<br /> @Pivoine: Oui, Ernaux a beaucoup écrit sur sa mère, dans "une femme" d'abord et puis dans "je ne suis pas sortie de ma nuit" qui évoque en effet la fin de sa mère et la maladie d'Alzheimer.<br /> Pour des références sur 68 j'ai déjà donné le petit "mai 68 raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu" qui est une synthèse très claire et intelligente; mais à l'occasion de billets que je ferai sur le sujet je donnerai surement d'autres références et notamment de documents plus, disons, affectifs.<br /> @Coumarine: oui j'ai d'excellents souvenirs de mes lectures d'Hurtebise, mais c'était plus facile, plein de dialogues et en jouant de l'accent de mon anglaise (vous pouvez lire en ligne la nouvelle que j'avais lu ce jour là "je cherche Aldébaran" si ça vous amuse) ou bien une autre fois en jouant de l'accent du sud ouest rocailleux de mon grand père.<br /> @Telle, lis les Années, c'est, tu le verras, d'une toute autre ampleur que beaucoup de ses autres livres et notamment des plus récents qui m'ont moins convaincus, peut-être en effet à cause d'une impression d'accumulation. Feuilly résume bien je trouve en parlant d'une "incorporation saisissante" de l'histoire individuelle et de l'histoire collective.<br /> Et merci à tous de vos passages
F
Cher Feuilly, je vous assure de ma parfaite sincérité... J'ai simplement mis l'image de ce dernier livre d'Ernaux, Les Années, en illustration de l'annonce pour la lecture. Je ne donne dans cette note aucune appréciation personnelle de ce livre, me bornant à renvoyer à la critique de Pierre Assouline.
Les échos de Valclair
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