Lecteur d'Annie Ernaux
J’ai participé hier pour la
seconde fois aux rencontres littéraires organisées un dimanche par mois au café
« Les marcheurs de la Planète ».
Il s’agissait cette fois
d’une rencontre autour d’Annie Ernaux.
C’est une auteure que je lis
depuis fort longtemps et que j’apprécie dans l’ensemble beaucoup. J’avais parlé
ici déjà de « Passion simple » et « Se perdre ». Ernaux est
une autobiographe et qui va au plus nu de son intimité mais son récit sur
elle-même est consubstantiel d’une parole sur le monde qui l’entoure, dans
lequel elle s’inscrit. Ernaux est la preuve la plus accomplie que travail
autobiographique ne veut pas dire nécessairement repli sur soi, narcissisme,
contemplation soit éblouie et autosatisfaite, soit douloureuse et
autodépréciative de son propre petit nombril mais qu’elle peut-être une façon
de saisir son siècle en se saisissant soi.
J’ai lu « Les
années » bien sûr et j’ai trouvé ce livre admirable, véritable concentré
de son œuvre. Je m’aperçois que je n’en avais rien écrit ici, à la fois sans
doute parce que je l’ai terminé dans l’avion qui me menait en vacances en
Bulgarie et que je n’ai pas eu le temps de rédiger mes impressions à chaud. Et
ensuite parce que j’ai travaillé ce livre pour un article ailleurs, écrit dans
une tonalité moins subjective que mes articles de blog, mais je n’ai pas eu
envie de m’y recoller pour donner quelquechose ici.
Annie Ernaux balaie dans ce
livre soixante années de sa vie, soixante années de la vie d’une femme et
soixante années d’évolution de notre société. Elle parvient ainsi à ce qu’elle
définit comme une « autobiographie impersonnelle ». Elle dit, à
travers les mots, les images, les « rumeurs » qu’elle capte dans les
temps et les espaces sociaux qui ont été les siens, bien plus sur la société
que de savants traités d’économie ou de sociologie. Le livre est aussi
profondément émouvant parce qu’il s’inscrit à l’ombre du vieillissement, de la
perte et de l’effacement, de la mort inévitable, ce moment « où toutes les
images disparaîtront ». Il est la façon pour Ernaux de tenter de retenir,
de « mettre en forme son absence future », de « sauver
quelquechose du temps où l’on ne sera plus jamais ».
Dans les dernières pages du
livre elle explique ce que fut sa démarche, très longuement mûrie, pour aboutir
à ce récit et ce faisant elle éclaire il me semble bien plus que le livre
présent, elle éclaire toute son œuvre.
Marc, l’animateur de cette
rencontre, avait proposé à ceux qui le voulaient de lire des extraits d’Ernaux.
J’ai eu envie de lire ces quelques dernières pages pour tenter de les faire
partager. Je sais que j’aime bien lire en public. Mais je l’avais fait jusque
là uniquement pour des textes écrits par moi et dans le contexte d’ateliers
d’écriture avec un petit nombre de personnes déjà connues. Là c’était autre
chose car il s’agissait de lire devant des inconnus et sans être chauffé par le
travail commun préalable de l’atelier. En plus ce texte n’est pas très facile à
oraliser. Il est fait de longues phrases, de considérations qui sont des
réflexions, la description d’une démarche. Les textes que j’avais eu l’occasion
de lire auparavant étaient plus faciles à théâtraliser et donc à rendre vivant.
Mais enfin j’ai l’impression que je suis parvenu à bien lire, que c’est bien
passé. Il y a un vrai plaisir à se faire passeur d’un texte que l’on aime bien.
Ce qui m’a frappé surtout c’est que j’ai senti que le texte à mesure que je le
prononçais à haute voix, sous le regard des auditeurs/spectateurs,
m’investissait bien plus que dans une lecture silencieuse. J’ai eu
l’impression, dans les toutes dernières lignes, lorsque Ernaux évoque certaines
de ces images qu’elle tente de sauver et qui ne seront plus jamais, j’ai eu
l’impression que ma voix se chargeait d’émotion, au point presque de se nouer.
Vraiment c’était un plaisir cette lecture. Et c’était très plaisant ensuite
d’écouter les lectures des autres, de sentir les textes se charger des affects
que chacun avait à y mettre.
J’aime beaucoup cette
formule, l’échange qu’il suppose entre le lecteur et le texte, entre les
lecteurs, entre les lecteurs et le public. Merci à Marc de l’avoir mise en
place. Je pense que je reviendrai à ces rencontres et j’aurai envie sûrement de
lire encore. La prochaine fois ce sera autour d’Henri Miller. Je l’ai peu lu.
J’ai quelques souvenirs de lecture d’adolescence, un des volumes de la
Crucifixion en Rose dont l’érotisme solaire m’avait bien alléché, mais je ne me
souviens même plus lequel des trois, « Le colosse de Maroussi » aussi
dont je ne me rappelle plus grand chose non plus, je me souviens seulement que
ce récit m’avait beaucoup plu. Aïe, encore des candidats pour rejoindre mon
imposante Pile à Lire…