...et dimanche, promeneurs des villes
Après le promeneur des champs
voici le promeneur des villes.
Et même le promeneur de
proximité, je me suis contenté hier d’une longue promenade musarde à portée de
pied de chez moi.
On croit tout connaître d’un
quartier mais on y fait encore des découvertes...
Je me suis retrouvé derrière les Gobelins, dans cette petite ruelle courbe sur laquelle donne le château de la Dame Blanche qui a été luxueusement rénové ces dernières années après être resté longtemps en semi abandon et transformé en appartements haut de gamme. En face il reste un terrain vague. Oui, un terrain vague en plein Paris. Je ne sais de qui ou de quoi il dépend et ce qui explique cet immobilisme. Il y a une palissade et à l’intérieur des arbres fous, des buissons enchevêtrés. C’est plutôt rare désormais à Paris un espace comme celui-ci alors que quand j’étais petit garçon il y en avait encore des quantités surtout dans des quartiers périphériques comme le 20° où j’habitais avec mes parents. J’en ai quelques vagues images mentales. Mais aucune photo bien sûr. Á l’époque on photographiait moins et surtout il ne serait pas venu à l’idée de photographier des espaces de ce type, perçus comme des verrues inesthétiques, des survivances à éliminer. Alors, parce que je me dis que cet espace n’en a peut-être pour plus très longtemps (quoiqu’il n’y ait aucune trace, aucun signe avant-coureur d’un changement) je l’ai photographié, un peu difficilement malheureusement à cause de la palissade, il faudrait monter dans les étages de l’immeuble en face pour le voir vraiment. C’est un de mes fantasmes de voir les lieux tels qu’ils ont pu être à diverses époques (ah le voyage de Mortimer dans la machine à remonter le temps !). J’avais particulièrement apprécié pour ça le beau récit de Bober, Berg et Beck qui évoque une rue où je passe très souvent, dont je connais chaque maison.
Il y avait aussi un joli MissTic récent sur un mur par là, pas encore attaqué par des taggeurs hostiles comme ça arrive maintenant trop souvent.
Ensuite je me suis dirigé
vers la rue d’Alésia et suis passé sur mon chemin devant l’Hôpital Saint Anne.
Je me suis arrêté rue Cabanis devant le plancher de Jeannot. Jeannot était un
jeune paysan qui avait sculpté au couteau sur le plancher de sa ferme pendant
des années les textes que lui dictaient son délire de persécution. Cette trace
spectaculaire et émouvante a été récupérée par une fondation et installée ici
comme un témoignage sur la grande souffrance psychique et hommage à celui qui
l’a subie.
Et j’ai réalisé que je n’avais jamais traversé cet hôpital alors que je crois tout connaître de mon triangle d’or parisien que j’ai arpenté quasiment toute ma vie, entre 5°,13° et 14°. J’ai donc traversé. Ça vaut la peine. L’intérieur du centre hospitalier est comme une petite ville, avec des pavillons de différents styles plus ou moins fermés et avec de beaux jardins, très fleuris. Les rues, les places, les jardins portent les noms de créateurs qui n’ont pas été pas été choisis au hasard, certains peut-être ont été pensionnaires ici, en tout cas ils font partie de ces voyants qui ont eu tous peu ou prou des difficultés avec la raison commune, de Nerval à Camille Claudel, d’Antonin Artaud à Edgar Poe. Je me suis arrêté près de cette statue, cette femme immobilisée dans son mouvement d’envol, comme jaillissant d’un superbe parterre de fleurs.
Puis j’ai été faire quelques photos du géant Isauré à l’école de la rue de la Tombe Issoire. Les enfants de cette école maternelle ont travaillé pendant deux ans sur un projet pédagogique autour de ce personnage de conte. Puis une sculptrice est intervenue et avec l’appui et le financement de la mairie de l’arrondissement a construit et installé ce géant au doux sourire qui domine désormais pour quelques mois le carrefour.
Je suis passé dans les
ruelles de ce petit quartier étrange, surélevé, coincé contre le réservoir de
Montsouris et dont les rues en impasse d’un côté se terminent par des escaliers
qui donnent sur l’avenue René Coty. Passage Seurat une gigantesque glycine, à
l’odeur forte et sucrée, embaumait.
Je suis arrivé au parc
Montsouris. J’ai cru de loin, tant les pelouses étaient noires de monde, qu’il
y avait un meeting !
Il y avait la queue au
stand, sous l’espèce d’une voiture ancienne, de la ferme de la métairie, on y
vend des glaces bio et aussi de l’eau de source, 2€ la mini-bouteille, j’ai
beau avoir une sensibilité écolo, ça me fait un peu rigoler ce genre de
snobisme.
Promenade encore dans le
parc, tandis que changeait le temps, ciel soudain assombri, orage menaçant mais
qui finalement n’est pas venu.
Printemps partout : les
gens qui bouquinent adossés aux arbres ; la concentration des portables
autour de la zone wifi ; les poussettes en goguette ; les jeunes
femmes en robe légère et bras nus qui sont belles ; les amoureux qui se
sourient et s’embrassent...
Mais aussi, une vieille femme
seule sur son banc, au regard plongé dans le vide et incommensurablement
triste...
Et puis encore : ce jeune couple poussant une voiture d’infirme avec une petite fille au corps immobile, aux membres contorsionnés, elle bouge la tête seulement, elle a de beaux grands yeux noirs très mobiles. Ça serre le cœur très fort soudain et ça fait relativiser tout le reste...
Photos cliquables pour les agrandir