Louise Bourgeois
J’ai passé hier finalement
une excellente journée. Comme si j’avais soldé dans mon écriture matinale les
ombres de ma nuit d’insomnie. Comme quoi écrire sert aussi à aller mieux et
n’est pas que cautère sur jambe de bois ou substitut à l’affrontement des
problèmes.
J’ai enfourché mon vélo et
filé vers Beaubourg pour visiter l’exposition Louise Bourgeois. J’y allais pour
voir, connaissant l’importance de l’œuvre de la dame mais ne m’attendant pas à
priori à être séduit.
Or cette exposition est
magnifique, à la fois plastiquement très belle et profondément émouvante par ce
que l’artiste dit d’elle au travers son travail.
Son inspiration trouve sa
source dans l’enfance, « qui n’a jamais perdu sa magie ni son
drame ». Elle s’appuie sur une écriture intime poursuivie toute sa vie à
travers entre autres des journaux tenus avec régularité depuis l’âge de douze
ans. Son œuvre est construction d’elle même. Elle est sublimation des
traumatismes issus de l’enfance, façon de solder ses haines familiales, voire
préservation contre la folie : « art is a guaranty of sanity ».
Regardez cette magnifique
« figure d’après nature », animal fabuleux, sorte de griffon sans
tête associant symboles masculin et féminin, à la tête décapitée. Elle est
explicitement l’image du père haï. « Mon père m’a détruit, écrit-elle,
pourquoi ne le détruirais-je pas ? ».
Elle utilise les matériaux
les plus divers, le bois, le métal, la pierre et (notamment de très beaux
marbres, ce « sucre des pierres ») mais aussi le tissu et a réalisé
de nombreux dessins et aquarelles dans lesquels s’invitent des mots ou des
phrases issus de ses journaux intimes. Elle parvient à insuffler à ce qui est
dur (la pierre) du tendre, du mou, conférant à tout ce qu’elle touche un côté
profondément organique et souvent à fortes connotations sexuelles.
Dans certaines compositions
elle mêle des éléments hétérogènes et très parlants qui confèrent à l’œuvre un
caractère quasi narratif : ainsi dans sa série cellule, dans laquelle elle
bourre un espace construit d’objets symboliques en lien avec son histoire
familiale. Ou encore dans « the reticent child » qui évoque à travers
plusieurs petites figures en tissu placé devant un miroir déformant son rapport
le plus intime avec l’un de ses enfants tardant à naître, elle se représente
elle-même enceinte puis parturiente. Les miroirs sont nombreux, dans lesquels
le visiteur se trouve lui-même reflété et par ce biais, rapproché, intégré dans
le décor, intégré dans l’oeuvre.
Elle joue des brouillages de
l’identité sexuelle. Voyez « cumuls » cet amoncellement de formes
arrondies d’un marbre si soyeux qu’on aurait envie de les caresser. Ces
rondeurs est-ce que ce sont des seins, est-ce que ce sont des sexes d’homme
décalottés ? J’aime qu’elle donne aux phallus un côté quasi féminin en les arrondissant, en les
adoucissant : voyez « Fillette », phallus incontestable
pourtant, le nom est un clin d’œil ironique mais qui n’est certainement pas
gratuit.
Je suis resté longtemps dans
l’expo, m’en imprégnant…
Puis j’ai longuement déambulé dans le quartier photographiant, musardant, profitant du soleil, de la douceur, des musiciens, des passants… C’est le privilège d’une promenade solitaire que de pouvoir régler sa direction et son pas en totale liberté, exactement au rythme que l’on veut…
Louise Bourgeois portant "Fillette"