Week-end (quasi) monomaniaque
J’ai été plongé le week-end
dernier dans un gros travail extra professionnel que je devais absolument
terminer.
Du coup je me suis enterré
complètement dedans, au point de perdre de vue tout le reste.
Je ne suis par sorti au-delà
de l’indispensable. Je n’ai pas écrit. Je n’ai pas lu. Je n’ai pas répondu à
mes mails. Je n’ai pas été faire le tour des mes blogamis, je n’ai même pas
ouvert mon propre blog pour voir si on était passé déposer des commentaires.
J’ai à peine lu en diagonale
mon quotidien favori, c’est à peine si j’ai su que le pape était venu faire son
show en France et que la planète financière était prise de soubresauts.
J’étais présent-absent à
ceux qui m’entourent. Pourtant le fiston était là, c’était son premier retour
avec beaucoup de choses à raconter, pas mal de démarches et de courses à faire
aussi et je n’ai pas profité de lui autant que j’aurais voulu.
Mes vibrations affectives
même se sont faites ténues, ténues, et je me suis senti sec d’âme et de cœur.
Un tel investissement
extrême dans une tâche plonge dans une sorte d’état second.
Presque on ne peut plus s’en
détacher. On en assez et en même temps on continue, on améliore, on peaufine
au-delà du raisonnable. On va au-delà même de l’obligation que l’on s’est donné
(et qui, quoiqu’il en soit, n’est que relative, il n’y aurait pas mort d’homme
à ne pas l’accomplir). La tâche a beau être fastidieuse on est porté par elle,
on ne pense qu’à elle. Lorsqu’on l’abandonne on y pense encore et on se hâte d’y
revenir. C’est le syndrome du « j’y retourne immédiatement » de la
chanson de Vian.
Sans doute est-ce aussi
parce qu’on y trouve, ou du moins qu’une part de nous, y trouve son compte.
Le monde et les êtres autour
de nous avec tous les questionnements auxquels ils nous obligent sans cesse s’éloignent voire s’abolissent.
C’est une façon de ne plus regarder le monde, une façon de s’écarter des
risques de la vie. Il ne reste plus que la bulle protectrice dans laquelle on
est plongé. Et sans doute trouve-t-on une forme de jouissance à se laisser
aller à cette perdition.
J’imagine que c’est un peu
l’état dans lequel se trouvent les accros pathologiques aux jeux en ligne pour
lesquels la réalité du monde s’efface au profit des fantômes de leur écran.
Curieusement ce moment m’a
fait remonter aussi quelque chose du climat psychologique dans lequel je me
suis trouvé lorsque je m’étais lancé dans une thèse.
Je l’avais commencée dans le
plaisir et en maintenant un équilibre satisfaisant entre les divers pôles de ma
vie. Mais peu à peu dans le mouvement même du travail, la préoccupation en
était devenue presque obsessionnelle. Je consacrais de nombreuses journées à des visites à la BN où j’explorais
fébrilement un corpus de livres anciens. Il y avait une sorte d’entraînement à
accumuler les données, à les indexer de façon méthodique, voire maniaque. C’est
un type d’activité dans lequel un esprit légèrement obsessionnel comme le mien
peut se laisser facilement absorber. Ma tête était saturée de façon de plus en
plus pathologique par ma recherche. La pression montait dangereusement dans la
cocotte.
Un jour qu’il faisait beau,
une de ces superbes journées froides d’hiver ou brille un soleil éclatant le
temps bref du jour, alors que j’étais comme à l’accoutumée de mes jeudis, jour
où je m’étais organisé pour ne pas travailler du tout professionnellement,
enterré dans la magnifique salle de lecture de la bibliothèque nationale, j’ai
pensé au soleil qui déjà devait commencer à décroître. J’ai senti l’urgence
soudain à laisser là mes fiches, à laisser là mes grimoires. Je suis sorti.
J’ai été marcher dans les jardins du Palais-Royal. J’en ai fait plusieurs fois
le tour, attentif à tout, puis je me suis assis sur un banc encore inondé de
soleil déclinant. J’ai senti que je ne remettrais pas les pieds à la
bibliothèque, j’ai senti que j’en avais fini de ma thèse.
Je m’y revois parfaitement.
Je retrouve les sentiment mêlés que j’ai eu alors associant l’extrême
jouissance de l’instant, l’intensité du soulagement à me débarrasser de
quelquechose qui me devenait infiniment pesant, le violence de l’échec à
proportion de l’intensité de mon investissement.
La situation bien sûr ces
jours ci était bien différente, calée qu’elle était dans un temps forcément
bref, n’empêche il n’est pas indifférent que j’ai senti remonter cette façon un
peu pathologique de m’investir dans une tâche et par derrière ce souvenir d’un
cuisant échec.
Fort heureusement le
week-end n’a été que quasi monomaniaque !
Car il y a eu aussi une
lucarne, par laquelle j’ai pu m’échapper, une sortie incontournable et dont
d’ailleurs je n’aurais surtout pas voulu me priver.
Nous avions convenu que nous
raccompagnerions le fiston en voiture à son école afin de porter différents
objets nécessaires à son installation. On a chargé la voiture jusqu’à la
gueule, emportant vaisselle, balais, serpillière, tapis de bain, corbeille à
papier, bouquins, vélo, oreiller, manteaux d’hiver, guitare, sans oublier le
déguisement de Robin des Bois (à la confection duquel il a consacré avec sa
mère une partie de son week-end) pour une soirée costumée prévue au cours des
festivités d’intégration.
Il faisait un temps
splendide. On a décidé de l’accompagner assez tôt dans l’après-midi et d’en
profiter pour nous promener. Après avoir débarqué tous les impedimenta dans sa
chambre on est parti faire le tour des terres de l’école.
On est tout près de zones
très urbanisées, y compris de villes nouvelles, et pourtant on a le sentiment
d’être dans une campagne profonde, loin de tout. L’école occupe un vallon d’où
on ne perçoit aucun signe d’urbanisation. Les portables, du moins dans la
chambre du fiston qui est en rez de chaussée, ne passent pas !
Le domaine est vaste et
entièrement clos d’un mur (quelque peu effondré par endroits quand même). On a
marché une bonne heure et demi sans faire tout à fait le tour de la propriété.
Des zones cultivées alternent avec des friches, des bois peu entretenus, un
lambeau de forêt avec de belles allées. Des enclos sont occupés, ici, par des
vaches, là, par des moutons. Une petite rivière court avec vivacité tout au
long du vallon. Les bâtiments sont regroupés à l’entrée de la propriété, le
château Louis XIII, les bâtiments administratifs, les bâtiments d’étude et les
labos construits au 19° et au 20° siècle, la résidence universitaire moderne et
bien conçue. Divers monuments, statues, monuments aux morts, ponctuent le parc,
commémorant des évènements ou de grands anciens. On a croisé peu de monde dès
qu’on s’est éloigné des bâtiments, juste quelques étudiants promeneurs puis un
couple faisant son jogging qui nous dépasse. Sacré beau lieu ! Ils ont de
quoi se balader, nos gars, et de jolis endroits où aller conter fleurette à la
demoiselle de leurs pensées.
Ça me fait tout drôle de
voir le fiston dans une telle école, dans un tel cadre. Lui qui est urbain
jusqu’au bout des ongles. Lui qui avait eu un haut cœur mémorable lorsque il
était entré pour la première fois dans une étable, choquant un peu le vieux
paysan chez qui nous étions en visite et qui était si ravi de montrer ses bêtes
au petit gars de la ville. Lui qui avait poussé de hauts cris lorsque, alors
qu’il était en seconde, j’avais vaguement envisagé une mutation en
province : aller dans un trou, jamais !
L’orientation suit des chemins bien imprévisibles. Je ne sais ce qu’il fera de son diplôme, dans quel secteur il aboutira finalement, mais il semble ravi en tout cas de se retrouver dans ce lieu bucolique, ravi du lien fort que l’école garde avec le monde agricole et du stage « ouvrier » qu’il va devoir effectuer dans les prochaines semaines dans une exploitation agricole.