Barack, en moi...
Je suis ravi de la victoire
d’Obama. Evidemment !
Elle était annoncée mais il
y avait toujours la crainte de la mauvaise surprise de dernière minute.
Celle-ci ne s’est pas produite, la victoire au contraire a été large et portée
par un mouvement d’enthousiasme extraordinaire ce qui lui donne encore plus de
force.
J’ai écouté le discours de
Chicago. Obama m’a impressionné par ses qualités d’orateur mais aussi par sa
hauteur de ton, par l’impression qu’il donnait de calme, de détermination, de
haute conscience de ses responsabilités. Il se glisse manifestement avec
facilité et par le haut dans ses habits
de président. Au milieu des explosions de joie ce discours c’était comme un
moment de recueillement, une sorte de suspens donnant la mesure de l’événement.
Il était spectaculaire de
voir les différences de public entre celui de la réception chez les battus au
profil tellement WASP (white anglo saxon protestant) et celui des
rassemblements derrière Obama où se mêlait des gens de toutes origines, de tous
styles, de toutes conditions. Obama c’est la véritable Amérique, celle du
melting pot et de cette formidable énergie sous-jacente. Le melting pot c’est
la force de l’Amérique, ce par quoi elle s’est construite, de frontière en
frontière, en assimilant des vagues successives d’immigrants (mais non sans au
passage anéantir les populations locales indiennes, ça c’est la face sombre,
qu’il faut prendre garde à ne pas oublier, l’histoire n’est jamais simple). Le
melting pot c’est ce pourquoi on aime bien, on aimait bien l’Amérique même si
on avait désappris de l’aimer. En tout cas ces scènes de liesse populaire
faisaient plaisir à voir et étaient communicatives même à distance et au
travers du petit écran.
Je ne me fais pas
d’illusion. Il n’y a pas d’homme providentiel. Mais il n’empêche cette élection
ce n’est pas bonnet blanc et blanc bonnet. Les hommes ont leur place à jouer
dans l’histoire, les peuples certes mais les dirigeants aussi que les peuples
se donnent. La qualité des hommes, leurs idées, leurs valeurs, ce n’est pas
indifférent. Bref il reste, malgré tout, un espace pour le politique, au vrai
sens du terme.
Obama décevra peut-être, il
décevra sans doute. On sait dans quelle crise d’une ampleur sans précédent
cette élection s’inscrit, une crise qui n’est pas seulement financière, ni même
seulement économique, conséquence des effets pervers de la mondialisation.
C’est une crise civilisationnelle et écologique beaucoup plus profonde, la
crise d’une machine qui semble s’être emballée et que rien ni personne ne
semble pouvoir véritablement arrêter. Il y a beaucoup d’éléments rationnels qui
font penser que l’humanité a peu de chances de sortir indemne des impasses dans
lesquelles elle s’est engagée. Mais à côté du pessimisme l’espérance a toujours
une place. Des évènements comme celui-ci ne peuvent nous faire croire que tout
va changer pour le mieux mais ils redonnent un peu plus d’éclat à cette
étincelle d’espérance que nous avons tous au fond du cœur sans quoi plus rien
de nos vies ne serait possible.
Les discours négatifs de
l’ultra-gauche me hérissent. Prétendre que l’arrivée d’Obama c’est changer pour
que rien ne change me paraît un sommet d’imbécillité. Aller jusqu’à réduire
l’élection d’Obama a une sorte de manipulation à laquelle aurait procédé les
vrais maîtres du monde c’est avoir une vision d’un manichéisme étroit éloigné
de la complexité du monde. Je ne supporte plus et depuis un bon bout de temps
ces discours de l’ultra-gauche mais là ils me deviennent carrément odieux. Les
candidatures dites hors système comme celle de Ralph Nader ont contribué à
l’élection de Bush en 2000 comme en 2004 (et d’ailleurs, pas le peine d’aller
si loin, c’est ça aussi qui a propulsé Le Pen au second tour en 2002).
Et puis quoi, j’ai envie,
simplement envie, de me laisser emporter un petit peu par l’émotion et par
l’espérance. Il y a suffisamment peu de bonnes nouvelles dans la vie du monde pour
qu’on ne boude pas notre plaisir lorsqu’elles surviennent. Ça fait du bien tout
simplement.
En prenant connaissance des
résultats, en voyant la joie de la foule, en écoutant le discours d’Obama j’ai
été parcouru d’une onde puissante. Je n’ai pas, mais du tout la larme facile et
pourtant là j’ai senti mon cœur se gonfler, j’ai senti un picotement sous mes
paupières.
Des politicards pisse-froid
peuvent tenter de me démontrer par toute les manières que je m’exalte pour pas
grand chose. Outre que je pense qu’ils ont tort, je ne veux pas même les
écouter parce que j’ai envie de jouir de mon émotion et de mon contentement.
Je sais bien, le vieux Trotsky
disait, citant Spinoza « ne pas rire, ne pas pleurer, mais
comprendre ». Comprendre oui mais rire et pleurer aussi. Je m’autorise la
jouissance de l’émotion.
J’aurais voulu conserver intacte
la trace qu’elle a fait en moi, ce sentiment d’alacrité, ce contentement, cette
joie. J’aurais voulu me faire accompagner d’elle tandis que j’ai pris ensuite
le fil de la journée, des obligations, des habitudes sous la petite pluie
froide de l’automne. J’aurais voulu comme Samantdi, ne pas
« désourire » de la journée.
Mais j’ai du mal pour ma
part.
Mon contentement est
précieux mais fragile, évanescent. Mon sourire à moi trop vite s’éteint.
Je me demande : d’où
cela vient-il ? pourquoi cette réserve en moi ?
Ce ne sont pas des raisons
rationnelles. J’ai dit que j’avais de l’espoir mais que je ne me faisais pas
d’illusions excessives. Donc ce n’est pas crainte de déchanter. Quoique les
souvenirs de nos joies de mai 1981 et de leur lent effilochement puisse jouer
quand même.
Est-ce juste une tournure
d’esprit ? Est-ce un signe de ce que j’appelle « ma ligne
grise » ?
Ou bien est-ce un
émoussement progressif de ma capacité d’enthousiasme ? Est-ce que, bien
banalement, ce serait ça aussi, vieillir ?
De tout cela un peu, sans
doute…