Un temps à salle obscure
Les paquets d’eaux qui
s’abattent sur mon toit et mon velux m’éveillent en sursaut. C’est la mauvaise
face de l’automne, celle des pluies violentes, des vents tempétueux, de la
lumière chiche. Quoique même ce temps puisse avoir ses attraits. Mais pas à
Paris. Une promenade bien emmitouflée, des feuilles qui tourbillonnent sous la
bourrasque, l’odeur de l’humus, les secousses des météores et la promesse du
retour au chaud, le feu dans la cheminée, le bol de chocolat fumant (marrant
ça, ça fait belle lurette que je n’en ai pas bu, ce n’est presque qu’un
souvenir d’enfance mais c’est l’image qui est remonté au fil de la plume).
Á Paris un temps comme ça
c’est plutôt un temps cinéma, un temps pour le cocon des salles obscures.
Irais-je, irons-nous au cinéma cet après-midi profitant de ce jour que nous
libère la tradition commémorative de la République ?
En tout cas je m’aperçois à
l’occasion que ça fait rudement longtemps que je n’ai pas donné mes impressions
cinéma. En fait je ne l’ai pas fait depuis mon retour des vacances d’été, avec
la seule exception de « Entre les murs » mais là il s’agissait d’un
objet cinématographique dépassant largement les seuls enjeux filmiques.
Sans doute est-ce parce que
j’ai été moins au cinéma cet automne. Ou parce que rien ne m’a fortement
marqué. Ou simplement parce que j’ai eu la plume moins alerte. Mais je vais
m’en faire un listing, juste pour me souvenir de ce que j’ai vu, ça c’est la
fonction mémorielle du journal. C’est une démarche à la limite de la névrose
j’en conviens, par laquelle se réintroduit cette pulsion d’exhaustivité à
laquelle dans laquelle je dis souvent que je dois me garder de tomber mais bon
ce matin je me sens en humeur de listes. Alors allons-y, en respectant je pense
l’ordre chronologique et j’espère en n’en oubliant pas :
« Be happy »,
« Le premier jour du
reste de ta vie »,
« Parlez-moi de la
pluie »,
« Le silence de
Lorna »,
« Vicky, Christina,
Barcelona »,
« Le crime est notre
affaire »,
« Séraphine ».
Certains me disent que je
passe ma vie au cinéma. Vous voyez ça ne fait pas tant que ça, huit en comptant
« Entre les murs », même pas un film par semaine !
Tous ces films m’ont plu,
j’ai passé de bons moments en les découvrant. Aucun ne m’a marqué avec force.
Les plus anciennement vus déjà s’éloignent et s’éloignent avec rapidité.
Jaoui/Bacri font du
Jaoui/Bacri, de façon plaisante mais plutôt moins convaincante que d’autres
fois. Ou bien est-ce qu’ils lassent ?
Les Dardenne font du
Dardenne, de plus en plus sombre. D’eux c’est « La promesse » qui
reste le plus fort en moi. Est-ce parce que c’était le premier que je
voyais ? Ou parce que dans celui-ci circulait, malgré la dureté, une
énergie positive moins présente dans les films suivants ?
Séraphine, vu ce dimanche n’est
pas mal, porté surtout par l’interprétation de Yolande Moreau, mais sans grande
inventivité cinématographique et un peu trop long.
Le dernier Woody Allen est
décevant, surtout au vu de l’enthousiasme immodéré de la critique. (3T dans
Télérama !, faut dire que les critiques de Télérama ont vraiment leurs
tics…) En se limitant aux opus des années récentes, « Escrocs mais pas
trop » ou « Le sortilège du scorpion de jade » me paraissaient
bien meilleurs du point de vue jubilation du spectateur, inventivité et rythme
de la mise en scène. « Match Point », excellent, y ajoutait aussi une
dimension sinon sociale, du moins sociétale.
Finalement mon meilleur
plaisir de cinéma de ces derniers temps je crois que c’est avec « Le crime
est notre affaire » que je l’ai pris. J’y allais avec un peu de méfiance.
C’est gentillet ces adaptations d’Agatha Christie mais ça ne va pas chercher
bien loin. Quand c’est correctement fait on s’amuse de la mise en place, des
atmosphères, des personnages de l’ambiance et puis souvent au fur et à mesure
que le film avance on se détache, on se dit, bof, bof… C’est l’impression que
j’avais eu par exemple ave « L’heure zéro » qui m’avait fortement
déçu. Mais là pas du tout. Le film tient sur toute la longueur, il reste
constamment drôle, jubilatoire, sans rupture de ton. Bien sûr l’excellence des
acteurs y est pour beaucoup. André Dussolier, Catherine Frot mais aussi Claude
Rich et Annie Cordy, jouant le rôle d’une vieille dame belge au délicieux
accent, chasseuse et spécialiste des papillons. Les personnages les plus
improbables comme par exemple les deux gamines délurées qui apparaissent et
disparaissent comme des ludions passent parfaitement. La question de la
vraisemblance ne se pose même pas. Le film ne porte aucun message, il ne génère
pas d’émotion ou pas de profondes pensées, il met juste en joie et c’est bien
suffisant. Le bonheur que l’on en a tient en partie à la jubilation que l’on
ressent chez les acteurs qui ont dû s’en payer une sacrée tranche en jouant ces
rôles. Mais cette qualité n’explique pas tout. Le précédent opus de la saga des
Beresford (« Mon petit doigt m’a dit ») était déjà porté par ces
acteurs formidables. J’avais déjà apprécié mais moins que celui-ci dont la mise
en scène est bien plus fluide, la drôlerie plus constante. Ce film est une
petite merveille sans prétention, un simple plaisir du moment mais vraiment un
très joli plaisir du moment.
Tiens, je parlais de temps
pourri… Par mon velux, comme j’achève cette note, je vois un beau ciel bleu,
nettoyé par la tempête de cette nuit…
Et là, au moment où je mets en ligne, je reviens d’une petite expédition courses matinales que j’ai prolongé pour profiter de cette jolie matinée. Pas sûr que ça dure, déjà reviennent les nuages… Alors, cet après-midi... Promenade ? Ou salle obscure ?