Retour de lecture
Comme le savent mes vieux
lecteurs (enfin, mes anciens lecteurs) j’ai au milieu des années 90 rédigé un
texte autobiographique qui a longtemps dormi dans mes tiroirs et que j’ai
finalement déposé tout récemment, non sans avoir beaucoup hésité, à
l’Association pour l’autobiographie.
Les textes envoyés, en plus
d’être archivés, sont lus par des lecteurs bénévoles qui rédigent des échos
dont l’ensemble, publié en volumes constitue un catalogue du fonds
progressivement accumulé, une lucarne ouverte sur ces milliers de petits bouts
d’humanité ordinaire incroyablement divers et souvent émouvants qui aboutissent
sur les rayonnages de cette association et peuvent être ensuite consultés par
des chercheurs ou de simples amateurs de lectures de vie.
J’ai donc reçu à la fin de
la semaine dernière l’écho concernant mon récent dépôt.
Aïe, aïe, aïe ! Je ne
me suis pas retrouvé, mais alors pas du tout, dans ce qui était écrit !
Le sentiment de n’avoir pas
été lu et perçu de la façon dont on pensait devoir l’être est très désagréable.
Déposer un texte c’est inévitablement attendre une forme de reconnaissance. Il
ne s’agit pas que le rédacteur de l’écho s’extasie ou dise que « tout ceci
est beau » , que « tout ceci est intéressant » mais au moins qu’il
donne le sentiment d’avoir rencontré quelqu’un en nous lisant, d’avoir partagé
un petit quelque chose avec nous. C’est ce qu’à l’APA, on appelle la lecture en
sympathie. Or il n’y a rien dans ce commentaire qui vibre un tant soit peu,
rien qui me laisse entendre que mon lecteur ait pu ressentir de l’émotion en me
lisant, rien qui soit une forme de « je vous ai compris ».
J’ai l’impression pourtant
que la personne qui a fait l’écho a lu scrupuleusement et avec attention mon
texte ce qui me questionne d’autant plus. Aucun des faits qu’il mentionne dans
son résumé n’est inexact. Simplement son compte-rendu est platement
chronologique et factuel comme si l’essentiel de ce texte était les étapes de
ma vie, comme si ce texte était d’abord une histoire de vie. Mais ces textes ne
prennent sens qu’à la lumière de la démarche dans laquelle ils ont été écrits.
C’est cet aspect, fondamental, que mon lecteur me semble avoir complètement
manqué.
J’ai écrit ces textes hors
de toute perspective de les donner à lire dans une période où j’étais en plein
doute personnel et existentiel, encore un peu plus que je ne le suis en général
(le doute existentiel, je crains fort que ce ne soit assez consubstantiel à
l’animal Valclair !). J’ai cherché à interroger ce que je ressentais comme
des impasses de mon parcours et pour cela je me suis aventuré dans le passé,
j’ai cherché à faire remonter sous forme de fragments des souvenirs d’enfance
ou d’adolescence, intégrant aussi bien des images heureuses que douloureuses.
Ce ne sont pas pour autant des textes de premier jet ou des textes défouloirs.
Ils sont assez élaborés, le plaisir d’écrire, de chercher les formes qui
diraient le mieux possible ce que je ressentais et mettais à jour, était l’un
des moteurs qui a entretenu mon écriture.
Mais du coup je m’interroge.
Est-ce que ces textes étaient transmissibles et lisibles sous cette
forme ? Suis-je tombé par hasard sur un « mauvais » lecteur ou
est-ce que la lecture qu’il en a faite et le compte-rendu qu’il a produit auraient
été à peu de choses près celui de la majorité des lecteurs ?
Aurait-il fallu alors ne pas
donner ces textes, ne les considérer que comme un matériau pour un travail
ultérieur destiné cette fois à être donné à la lecture ? J’ai bien pensé à
refaire quelque chose, à reprendre intégralement certains des fragments, à en
reformuler certains autres, à en éliminer carrément un certain nombre, à
développer les aspects présentant un intérêt documentaire comme ceux où je
donne mes souvenirs de Mai 68 ou qui évoquent la vie d’engagement militant
quasi professionnel des années qui ont suivi, à compléter enfin tous ces textes
par d’autres qui donneraient mon regard d’aujourd’hui et traiteraient aussi de
parties de ma vie que je n’ai pas même abordées dans ces documents.
Mais outre que je n’ai pas
bien envie de me tourner de nouveau vers le passé, ni de me lancer dans un
nouveau travail d’écriture autobiographique, (il n’y a qu’à voir la façon dont
j’ai calé sur « les ricochets des blogueurs ») j’aurais crains à
faire cela de perdre une part de la spontanéité de ces textes, de ce qu’ils
disent de ma conscience, de mon vécu au moment où je les ai écrits.
Il n’y a aucune conséquence
pratique négative à cette lecture décevante sinon celle de m’avoir dépitée sur
le moment. Je ne donnerai pas mon accord et cet écho ne sera donc tout
simplement pas publié. J’ai peaufiné et repeaufiné le courrier que j’ai adressé
à l’auteur en tentant, tout en essayant de ne pas être blessant à son égard,
d’expliciter ce que, de mon point de vue, il avait raté. J’attends sa réponse
avec assez d’impatience. Mon courrier sera lu dans le groupe de lecture qui a
accueilli mon texte et contribuera peut-être à faire discuter et réfléchir dans
ce groupe. Peut-être d’autres membres du groupe liront-ils mon texte et le
percevront-ils différemment. Je ne demande pas pour autant que l’écho soit
refait. Ce n’est évidemment pas à l’auteur de dicter ou de susciter une
orientation de lecture, mais j’ai voulu tout de même essayer de donner des clés
pour que l’enjeu de ce texte soit mieux perçu par ceux entre les mains desquels
il sera passé.
Il y a dans ces textes des
pages que je n’aime pas du tout, par l’image qu’elles donnent de moi, ou tout
simplement par le ressenti de périodes difficiles qu’elles font remonter. Mais
il y a aussi des pages que j’aime beaucoup. L’un dans l’autre elles forment un
tout. Il y a au total là-dedans une expérience humaine qui me paraissait
partageable. Là c’est tombé à côté. Ce n’est pas bien grave même si sur le
moment ça m’est très désagréable. Peut-être plus tard demanderais-je à d’autres
lecteurs de l’association, plus expérimentés ou surtout que je sentirais plus
susceptibles d’entrer « en sympathie » avec ce texte de faire un
autre écho, pour l’instant je me contente de ce que mon texte soit simplement
silencieusement conservé.
Drôle d’expérience néanmoins
et qui questionne soudain avec force sur ce qu’en profondeur, sans forcément en
être conscient, on attend lorsqu’on écrit et lorsqu’on fait ce geste, pas si
anodin, de donner à lire, question qu’on ne se pose guère mais qui vaut aussi
naturellement pour tout ce que nous déversons quotidiennement dans nos blogs.