"Théâtre intime"
J’ai profité des temps morts
de mon voyage dans le sud pour achever la lecture de « Théâtre
intime » de Jérôme Garcin.
C’est un livre très
intéressant. Jérôme Garcin est le mari d’Anne-Marie Philippe, actrice et fille
du mythique Gérard Philippe. L’auteur raconte comment lui-même, jeune
littéraire mais issu d’une dynastie de grands médecins de bonne bourgeoisie
bien pensante, s’est agrégé à ce monde si différent du sien. Il évoque ce que
c’est qu’être mari d’actrice et décrit le monde du théâtre du point de vue des
coulisses, de celui qui y est tout en n’y étant pas vraiment. Mais il éclaire
aussi le rapport particulier de sa femme à son métier et aux rôles qu’elle a
interprétés, sa façon de gérer l’encombrant héritage qui est le sien, le père
mythique qu’elle a à peine connu, la mère, Anne Philippe, très présente au
contraire, intraitable gardienne du temple. Le livre fourmille d’informations
sur la vie théâtrale du 20° siècle, remontant, en s’appuyant sur les souvenirs
d’Anne Philippe, au temps glorieux du début du TNP et du Festival d’Avignon.
Chaque chapitre évoque un lieu et la tranche de temps pendant laquelle ce lieu
a compté : les lieux de vie ou de vacances de Garcin enfant ou
adolescent ; les diverses résidences des Philippe, à Ramatuelle ou en bord
de Seine, à Paris rue de Tournon ; des espaces de théâtre, le palais des
Papes en Avignon, des salles parisiennes emblématiques ou les salles
polyvalentes des tournées dans la province profonde. Certains de ces lieux ne
persistent que dans la mémoire de l’écrivain mais il en est d’autres qu’il
retrouve non sans nostalgie au cours de pèlerinages qu’il effectue ici ou là
avec ses propres enfants. Enfin les chevaux et l’art de la monte, passion venue
de sa propre famille et dans laquelle son épouse s’engouffre à son tour
spécialement après avoir pris une certaine distance avec sa profession de
comédienne tiennent aussi une grande place.
J’ai donc bien aimé ce livre
et j’en conseille la lecture. Et pourtant littérairement ce n’est pas un grand
livre. Par moments je me suis senti un peu agacé par son style. Pourquoi
donc ? Qu’est-ce qui cloche ? Pourtant c’est bien écrit, dans une
langue claire, parfaitement fluide, agréable à lire. J’ai envie de dire que
c’est presque trop bien écrit, d’une écriture trop léchée, trop apprêtée, c’est
une écriture de bon élève, une écriture de khâgneux, qui assène ses références
culturelles et la richesse de son vocabulaire, qui se plait à des successions
d’énumérations bien venues et bien balancées. Mais c’est une prose sans magie.
C’est écrit avant tout avec la tête, un peu avec le cœur, beaucoup moins avec
les tripes.
Je me sens d’autant plus à
l’aise pour dire ça,(et peut-être est-ce pour cela justement que j’ai autant
remarqué cet aspect), qu’il me semble que personnellement j’écris un peu de la
même façon, certes avec moins de métier, moins de culture et de façon plus
laborieuse. Mais il y a de ça.
Je m’interroge toujours sur
la source de cette alchimie qui fait que chez certains à l’écriture minimaliste
les mots les plus simples acquièrent une telle puissance d’évocation, je pense
à Duras par exemple ou de façon très différente à Modiano. Ou je pense à
d’autres aussi dont l’écriture est d’emblée sensuelle, charnue, dont on croque
les mots. Ou à d’autres encore chez lesquels surgissent on ne sait d’où des
fulgurances de plumes des rapprochements imprévus, des métaphores inattendues.
Bref je pense à ceux qui ont, au-delà du bien écrire, ce petit plus, essentiel,
qui fait la littérature.