"Paradis conjugal"
J’ai assez apprécié ce livre
d’Alice Ferney, avec quelques réserves cependant.
Une femme, Elsa Platte,
confrontée aux défis de la mi-vie, (fin de son activité professionnelle de
danseuse, usure du sentiment amoureux et de toutes ses envies) qui a glissé
dans une forme de dépression sourde, fait face à l’angoisse qui l’étreint en
s’enfermant dans une confrontation quasi exclusive au film de Mankiewicz
« Chaînes conjugales » qu’elle ne cesse de regarder. Elle provoque
ainsi l’exaspération croissante de son mari qui finit par lui dire un matin
qu’elle ne l’attende plus, qu’il ne rentrera pas. Le récit s’inscrit
entièrement dans cette soirée particulière, la femme revoit une énième fois son
film fétiche, en compagnie de deux de ses enfants. Elle scrute les personnages,
cherchant dan leurs situations et dans leur psychologie des échos à sa propre
histoire. Le déroulement du film et les réflexions et rêveries d’Elsa mais
aussi de ses enfants s’intriquent profondément tout au long de la soirée et
constituent la matière même du récit. Le film est à la fois pour elle « un
carrousel de diversions possibles » et une façon de revenir sans cesse sur
ce qui la préoccupe.
Alice Ferney est d’une
grande finesse dans l’analyse du sentiment amoureux, de la vie de couple, de
ses évolutions, des défis notamment auxquels conduisent le passage du temps et
l’usure de l’habitude. Elle développe aussi une analyse scénaristique et
stylistique très détaillée du film ainsi que de la psychologie de ses personnages.
Elle a de jolies formules ramassées qui disent beaucoup en peu de mots et que
j’ai envie d’accrocher ici pour le plaisir de pouvoir les retrouver plus
tard :
« Les mots, l’air de
rien, quels mensonges ils tricotaient, avec leur bonne volonté » (p
79) ;
« Une mère pareille au
creux de soi était une étrave qui toute la vie aidait à fendre les vagues que
le sort apportait » (p 259) ;
« La tragédie du
mariage c’est le temps qu’il dure » (p 95) ; « Ils étaient déjà
serrés (étouffés) dans le lien amoureux » (p 272) ;
« Elle voulait être
parlée par le désir de l’autre » (p 97) ; « le corps aime, le
corps est la proue qui ouvre la vie comme une mer » (p 343) ;
« La routine de la
séduction existe bel et bien et pèse tout le poids de ce qu’elle
désenchante » (p 216).
Le procédé de la
confrontation entre la vie d’Elsa et le déroulement du film est assez
artificiel, il apparaît un peu comme un truc permettant à l’auteure de déployer
diverses figures de la psychologie amoureuse d’une façon un peu trop
systématique. (J’avais déjà eu une impression similaire à la lecture de
« La conversation amoureuse » où était mis en place une série de duos
amoureux, chacun représentatif d’une figure possible du couple). Mais
l’ensemble est prenant et finit par se tresser astucieusement.
Comme dans le film de
Mankiewicz la fin semble heureuse. Sur la question qui court tout au long du
livre « les couples peuvent-ils se restaurer ?», la réponse donnée
est positive. Le livre conclut finalement au triomphe de la conjugalité au-delà
des incompréhensions et des crises. Mais il y a dans le contexte social,
culturel, historique des personnages de Mankiewicz quelquechose de très daté et
qui paraît en contraste avec la conjugalité moderne du couple d’Elsa. Mais ce
décalage peut-être est voulu pour affirmer que les sentiments, leurs usures
mais aussi la possibilité de leur restauration sont de tous temps.
Je me permets de me sentir
un peu plus dubitatif…
A moins qu’il n’y ait aussi
derrière tout ceci une bonne dose d’ironie, ce dont témoignent après tout les
titres : les « Chaînes conjugales » fonctionnent parfaitement
d’un côté et de l’autre «Paradis conjugal » peut difficilement être lu
autrement que comme une anti-phrase.
Cette lecture en tout cas me
donne très envie de voir le film de Mankiewicz que je ne connais pas. En fait
il faudrait le voir avant de lire le livre, car la lecture déflore le film,
puisque on connaît tout de son déroulement et notamment sa fin, lui enlevant
ainsi une part du suspense qui contribue sûrement à son intérêt.