Grève et manifestation
Cette fois j’ai fait grève.
Non que j’ai été saisi d’un
soudain enthousiasme militant mais j’avais tout simplement l’impression que je
ne pouvais pas ne pas en être, que je me serais senti trop mal à l’aise à
rester coincé toute la journée à mon bureau, à ne pas manifester ma solidarité
avec ceux qui luttent et mon souhait d’une autre politique, même si je ne sais
pas trop ce qu’elle pourrait être, c’est bien là où le bât blesse.
Toutes ces nouvelles qui
tombent jour après jour, l’approfondissement de la crise, l’aggravation de la
précarité, de la montée du chômage, cet argent que l’on donne si libéralement
d’un côté et si difficilement d’un autre, ce refus toujours inébranlablement
affirmé de toucher aux privilèges de quelques uns font qu’on ne peut que se
sentir interpellé. Je suis particulièrement révolté par cette position de
principe sur le bouclier fiscal défendue becs et ongles en affirmant que ce
n’est pas ça qui coûte cher au budget de l’état. Peut-être mais que le Trésor
Public puisse rembourser dans une telle période de crise à quelques uns des
sommes qui représentent pour le précaire ou pour le travailleur pauvre une
somme astronomique me paraît tout simplement indécent et mérite qu’on le crie.
Ce qu’il faudrait faire je
n’en sais rien. J’ai soupé des yakas et les fauquons et c’est bien ce qui m’a
conduit à rester le plus souvent à l’écart des précédentes mobilisations. Il
n’y a pas de solution magique mais on pourrait faire sûrement moins mal. La
crise est tellement profonde, multiforme, les vieilles recettes ne marchent
pas, on n’en voit pas de nouvelles. C’est très difficile de changer de
paradigme. Je suis tombé au cours de la manif sur un distributeur de tract d’un
« Parti de la décroissance ». Il y avait là des réflexions intéressantes.
Mais comment effectuer la transition entre notre modèle industriel et un
nouveau modèle à inventer, sachant toutes les résistances qu’il y a à
affronter, celles de ceux qui nous gouvernent, celles des profiteurs du système
industriel et financier actuel à la recherche des plus grands profits immédiats
par l’exploitation à tout crin des hommes et de la nature mais aussi celle de
ceux qui vivent, oh combien douloureusement, la casse des outils industriels
qui jusqu’à présent leur offrait du travail ?
Je suis toujours aussi
dubitatif sur les résultats de ce type de mobilisation mais je ne souhaite pas
pour autant les explosions radicales dont rêve le NPA qui ne règleraient rien
et pourraient conduire au pire. Je ne vois aucune solution politique à court
terme, entre un PS toujours aussi occupé de ses bisbilles, un front de gauche
trop antieuropéen, un NPA dont la radicalité ne mène à rien.
Le matin je suis passé au
bureau pour faire les déclarations de grève afin que nos absences se marquent
dans les statistiques et pour que, comme il est normal, notre ayons à subir un
retrait de salaire. Ensuite je suis rentré paisiblement chez moi en cours de
matinée, jouissant du beau temps et heureux de me sentir plus en accord avec ma
conscience qu’au mois de janvier. On a pu déjeuner sur notre terrasse pour la
première fois cette année. A l’ombre il faisait encore frisquet mais avec un
bon pull ça allait. Oui c’est le printemps… Et ce printemps météorologique
compte aussi pour effacer en moi cette froidure à l’égard du monde qui en
janvier m’avaient fait rester de côté.
L’après-midi donc j’ai été à
la manif ce qui pour moi était le plus important.
J’ai d’abord commencé à y
errer comme à mon habitude, plutôt en voyeur qu’en participant. Il y avait un
étrange contraste entre les deux versants du Boulevard du Temple, un côté ombre
où on caillait, et un côté soleil où il faisait presque trop chaud lorsqu’on se
retrouvait immobile, coincé dans les paquets de foule.
J’étais content de coller
sur mon blouson le « Casse toi, pov’con », distribué par le Parti de
Gauche sans manifester pour autant un soutien particulier à cette organisation
mais crier cela était aussi le sens de ma présence.
J’ai fini par rejoindre le
petit cortège des représentants de ma corporation. Habituellement je n’aime pas
trop défiler avec eux car je suis loin de partager toutes les positions du
syndicat majoritaire, mais bon, j’ai préféré me glisser tout de même avec eux,
marcher avec des collègues. On a chanté les chansons inventées pour l’occasion,
forcément un peu démagogiques mais il y en avait de bien tournées, et ça fait
du bien de se sentir tout de même dans la participation même si je me sens
souvent décalé de mon monde professionnel, en difficulté d’appartenance. J’y ai
revu des collègues que je n’avais pas vu depuis très longtemps et rien que ça
c’était un plaisir à ne pas bouder.
Bref je suis revenu fatigué et un peu rompu par les heures de piétinement mais finalement, sur un plan purement personnel j’ai passé un bon moment, sans être perturbé par les doutes et les malaises identitaires qui ont souvent rendu mes participations à des manifestations pénibles et amères.
Un peu de musique pour réchauffer les coeurs