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Les échos de Valclair
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16 décembre 2009

Café Duras

J’ai participé dimanche au Café littéraire autour de Marguerite Duras, organisé par l’équipe de « L’œil bistre au comptoir ».

La présentation puis les lectures ont permis d’offrir un panorama de sa création dans les formes d’expression variées auxquelles elle s’est confrontée et de tenter d’appréhender un peu ce qu’est « l’écriture Duras ».

Duras m’émeut plus, y compris dans ce qui me paraît faible, que bien d’autres auteurs éventuellement plus « plaisants ». Et je crois avoir mieux compris pourquoi à travers la préparation de ma lecture.

J’ai aimé lire, comme chaque fois. J’ai senti que ma lecture passait bien, que le public était accroché, c’est toujours pour moi un plaisir de ressentir cette qualité d’écoute qui vaut reconnaissance. Je me sens à l’aise dans cette activité, qui est un partage et qui est aussi, sous une forme minimale, un acte de création : donner aux mots jusque là figés sur le papier une incarnation au travers d’une voix, au travers du rythme que l’on choisit de leur donner, les faire, littéralement, s’envoler.

La sélection du texte n’était pas facile. J’avais choisi de lire un extrait de « L’amant », je voulais donner à entendre le moment de la rencontre sur le bac. Mais Duras procède par accumulation d’images, de sensations, de pensées advenues, détaillées en brefs fragments, qui pris isolément ne se suffisent pas. Il n’y a pas un extrait spécialement fort qui résumerait tout mais la lente construction d’une image riche de multiples thèmes et qui prend alors une grande puissance. Tout l’art de Duras est dans cette construction, dans cette progression. Il me fallait donc essayer de réduire le texte tout en gardant quelquechose de cette progression.

Sur la trentaine de pages qui évoquent la rencontre j’ai sabré beaucoup pour tomber au six-sept que je pouvais lire, mais je voulais que tous les thèmes qui irriguent le texte soient présents ne fussent qu’en quelques lignes : je voulais l’évocation du fleuve et de sa touffeur, la conscience aiguë des différences de classe, la richesse et la pauvreté, la mère, ses attentes et sa détresse, le vécu par la jeune fille de son corps et de son image, le rapport trouble à une attitude quasi prostitutionnelle à la fois interdite et secrètement rendue licite, le besoin vital de l’écriture…

A la fin du passage que j’ai lu, Duras se demande ce qu’elle a dit ou n’a pas dit dans ses livres de l’amour et de la haine qui circulait dans cette famille, de « cette histoire commune de ruine et de mort ». « Elle est le lieu au seuil de quoi le silence commence. Ce qui s’y passe c’est justement le silence, ce long travail pour toute ma vie. Je suis encore là devant ces enfants possédés, à la même distance du mystère. Je n’ai jamais écrit, croyant le faire, je n’ai jamais aimé, croyant aimer, je n’ai jamais rien fait qu’attendre devant la porte fermée ».

J’ai aimé terminer là-dessus parce que ces phrases me paraissent donner une clé fondamentale de l’œuvre comme de la vie de Duras: Ce n’est pas quelqu’un qui écrit à côté de vivre ou en plus de vivre ou parce que c’est sa profession. L’écriture est sa vie même, elle est besoin irrépressible, elle est condition de la survie. Et en même temps elle est vouée à l’échec, elle ne permet pas de dépasser les blessures originelles, elle est tentative toujours renouvelée d’atteindre à l’inatteignable.

Je n’aime pas tout Duras, loin de là. Dans la masse de sa création (littéraire mais aussi cinématographique) il y a des choses dont le minimalisme frise à mes yeux l’indigence avec parfois, dans le retour en boucle des mêmes thématiques, comme une sorte d’affaissement du discours sur lui-même. Mais à l’éclairer ainsi, cette absence, ce vide, ce noir (dont on peut voir le symbole dans l’écran noir de « L’homme atlantique ») prennent un tour profondément émouvant, font réaliser à quel point son œuvre, dans sa force comme dans ses faiblesses, reflète avec vérité le drame d’une vie.

Duras, en attendant Rimbaud puis Romain Gary qui sont les prochaines programmations du Café…

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Commentaires
V
Non, non, Cochonfucius, les tontons ne nous flinguent pas trop. Les prix sont modestes pour le repas à thème, en lien avec l'écrivain, qu'ils proposent pour ceux qui veulent prolonger après les lectures.
C
Amusante, cette parenté entre "flambeurs" (le nom du troquet) et "flingueurs" (qui nous vient automatiquement sous la plume. Des histoires de "coup de fusil" dans la restauration...
V
ça se passe "aux tontons flingueurs" dans le 11° en principe chaque second dimanche du mois à 17h.<br /> Toute précision et programme sur le site du resto <br /> http://www.auxtontonsflambeurs.com/<br /> Je serai ravi de pouvoir y faire ta connaissance à l'occasion Dasola. Donc à bientôt peut-être.
D
Bonjour Valclair, l'expérience que tu décris est passionnante, cela ne doit pas être facile de lire du Duras à haute voix. Rimbaud non plus, d'ailleurs. Je ne sais pas où cela se passe ce café littéraire. C'est à Paris? Bonne journée.
Les échos de Valclair
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