Archéologie profonde
Me voici plongé dans l’archéologie de l’écriture en ligne. J’avais déjà pris plaisir à faire ce genre de saut dans le temps et j’avais il y a un peu plus de deux ans donné le lien vers la page de favoris que j’avais annexé à mon premier site en 2004. Un autre monde !
Mais là je vais bien plus profond. Une douzaine d’années ! A l’échelle du net une quasi préhistoire. Avant que moi-même je ne commence à mettre le nez dans tout ça, ne serait-ce qu’en observateur.
Je suis en train de lire les Chroniques du Tisserand écrites par Gargil entre 1998 et 2000. Ne vous précipitez pas. Vous ne les trouverez pas en ligne. Et pas même en allant à la BNF consultez les archives de l’internet. Les collectes à cette époque héroïque n’avaient même pas commencé.
Non je me promène sur ce site sur un Cdrom que leur auteur a déposé à l’APA et dont je suis chargé de faire un compte-rendu.
Je retrouve des noms de diaristes qui avaient déjà fermé lorsque j’ai commencé. Il y a des liens qui pour la plupart tombent dans le vide. Quelques uns, très rares, mènent vers des pages encore visibles même si l’auteur a arrêté d’écrire depuis des années. C’est assez émouvant.
Ce qui m’amuse aussi c’est de retrouver chez Gargil les mêmes hésitations que j’ai pu avoir face à la mise en ligne, le battement de cœur au moment du basculement sur le web, cette impression de faire quelquechose de vraiment incongru et d’un peu fou, mais aussi de terriblement excitant, ce qui ne doit plus être le cas maintenant, tant les choses ont été rendues faciles et se sont banalisées à travers les blogs. Je retrouve des interrogations aussi sur la limite de ce qu’on peut dire et sur comment les dire qui sont toujours les miennes, la recherche d’un positionnement d’équilibre entre le trop dire et le pas assez dire. Gargil parle d’une écriture de « funambule ». J’aime bien le terme. Ce n’est pas très différent de l’expression que j’emploie moi parlant d’un cheminement « sur une ligne de crête », toujours à la merci du déséquilibre.
Gargil a repris son journal entre 2003 et 2005. Je me suis retrouvé là plus en pays de connaissance puisque nombre des diaristes évoqués font partie de ceux que j’ai lu personnellement sur le moment, avec qui j’ai échangé, que j’ai rencontré pour certains d’entre eux. Je m’attendais naturellement à retrouver beaucoup d’évocations de sa « muse » qui fut aussi la première personne du blogomonde que je me sois risqué à rencontrer IRL comme on disait (in real life), ce genre de première c’était un sacré moment, très émotionnant, on avait l’impression de quelquechose d’extraordinaire, ce qui n’est plus du tout le cas maintenant. Et puis, moins attendu, et cela m’a fait comme un sourire j’ai aussi croisé le lien vers «L’autre Journal » d’une amie très chère et dont j’ignorais totalement que Gargil l’ait jamais lue.
J’ai eu beaucoup de plaisir à cette ballade et un peu de nostalgie à retrouver tous ces liens.
Ce qui est une façon de rebondir sur le dernier billet d’Alain. Je crois moi que se créée bien en effet entre des diaristes qui se fréquentent longuement en ligne, même sans jamais se rencontrer, une forme de communauté implicite aux contours flous et à géométrie variable mais bien réelle. La meilleure preuve de son existence en est que lorsqu’elle se dissout peu à peu sous l’effet du mouvement naturel de la vie, cela laisse au cœur de ceux qui poursuivent un léger goût de cendre, l’impression que jamais, avec ceux qui entrent désormais dans le paysage, ne pourront se créer des liens non pas seulement individuels mais collectifs d’une telle intensité.