"Disgrâce" et quelques autres
Hier j’ai vu « Disgrâce » d’après le roman de J.M. Coetzee. J’ai beaucoup aimé. J’incite à y aller. C’est un film qui n’est déjà plus que sur quelques écrans, bousculés par les nouveautés.
Comme Guillaume je me demandais comment allait passer au cinéma un livre qui m’avait beaucoup impressionné. J’ai trouvé que ce passage était ici foncièrement réussi. Ce qui compte n’est pas le détail des situations (encore qu’ici le cinéaste ait semble-t-il cherché à coller de près au texte) mais que l’on en retrouve l’esprit, avec les moyens foncièrement différents du cinéma (et qui doivent l’être pour éviter ce qui ne serait qu’une plate illustration). Or ici c’est le cas. On retrouve parfaitement, dans le tempo du récit, dans le montage rapide et dégraissé du film, dans les images des êtres et des paysages, dans les corps et les visages, l’âpreté des situations et de l’ambiance du livre où en tout cas de ce que j'en garde d'une lecture déjà ancienne. La descente aux enfers de l’homme vieillissant dans un monde qui change et où les dominants d’hier deviennent les dominés, la violence extrême des rapports humains dont l’agression et les viols comme d’un autre côté le mouroir où sont euthanasiés les animaux ne sont que les aspects les plus spectaculaires, sont visuellement parfaitement rendus. Malkovich est formidable. Il me paraît correspondre tout à fait à l’image mentale que je m’étais faite du professeur Lurie à la fois profondément désenchanté, totalement malmené, mais accessible néanmoins au travers de ses renoncements à une forme de rédemption.
Du coup en tout cas j’ai eu envie de ressortir le livre de ma bibliothèque et j’ai commencé à le relire.
Sans m’appesantir et juste pour en garder trace voici quelques impressions rapides de quelques autres films récemment vus :
« Océans » : Des images vraiment exceptionnelles. A voir pour le spectacle et pour méditer sur l’inventivité extraordinaire de la vie. Mais les apparitions du réalisateur et de son fils sont d’une nunucherie affligeante, le sujet méritait mieux.
« Une vie toute neuve » : c’est un joli petit film sans prétention réalisé par une jeune femme coréenne adoptée par des français. C’est un retour, largement autobiographique, sur un épisode de sa vie de petite fille, la vie de pensionnat dans l’attente d’adoption et le sentiment d’abandon. C’est filmé du point de vue et à hauteur d’enfant, c’est assez réussi et émouvant même si c’est loin d’être un grand film.
« Une exécution ordinaire » : quelle déception ! Certes l’ambiance glauque et oppressante de l’URSS dans les derniers temps de Staline est bien rendue mais les dialogues entre Staline et la jeune médecin ne passent pas du tout. Le fait que tout soit en français pose un sceau d’irréalisme sur l’ensemble, on n’y croît pas une seconde malgré André Dussolier et Marina Hands qui sont pourtant deux acteurs que j’aime habituellement beaucoup. (Dimanche j’ai entendu les dithyrambes de l’ensemble des critiques du Masque ! Pas d’accord avec eux mais alors pas d’accord du tout : le vrai grand film sur la mécanismes de la terreur quotidienne en Europe de l’est c’est La vie des autres).
« Le refuge » : Pas mal mais sans plus. Je ne sais pas trop ce qui me gêne : quelquechose peut-être de finalement assez convenu dans le déroulement du récit. La situation est tout ce qu’il y a de plus inhabituelle et pourtant il n’y a pas de surprise, on s’ennuie un peu, ça suit son cours, la mort et l’accueil de la vie malgré les difficultés, l’émergence de la tendresse entre les personnages. Il y a derrière la situation dramatique une bienveillance, une douceur dans le regard qui est appréciable et il est émouvant de voir Isabelle Carré jouer la femme enceinte en l’étant réellement mais ça ne suffit pas tout à fait.
« A serious man » : Malgré quelques scènes particulièrement réussies (ah la découverte du texte de la Torah gravée à l’arrière des dents du goy !), c’est plutôt décevant, le comique s’essouffle et on a du mal à adhérer aux personnages sur la longueur. Je ne comprends pas l’enthousiasme de la critique.
« In the air »: Pas mal du tout. La démonstration du cynisme absolu du management moderne est réjouissante même si les situations et les personnages par trop caricaturales affaiblissent le propos. Le personnage de Natalie surtout, la jeune cadre aux dents longues mais qui ne connaît rien à la vie et qui se propose de rationaliser les rationalisateurs passe mal. De plus le film se bonifie en avançant. Alors qu’on s’attend à une happy end un peu convenue, le retournement final donne soudain de la profondeur à l’ensemble. Le pauvre Clooney se retrouve bien dépité de n’apprendre qu’il n’est finalement qu’une « parenthèse » (ah, l’esthétique de la parenthèse !) et c’est la piquante Alex, la maîtresse aéroportuaire de Clooney qui est finalement le personnage fort du film, celle qui tire le mieux son épingle du jeu, qui a trouvé l’équilibre de vie qui lui convient.
« Extérieur nuit » : Très bon film d’un autre temps (1980) opportunément restauré et remis en circulation. On y sent la patte d’un cinéaste véritable. Dommage qu’il n’ait pas réalisé grand chose ensuite. Peut-être était-il l’homme (presque) d’un seul film et du temps où il l’a tourné, avec ces personnages de marginaux post-soixante-huitards au temps où cela existait encore. Les acteurs sont très bons, le jeune Dussolier, le jeune Lanvin et Christine Boisson surtout en jeune femme mystérieuse et blessée, petit animal fougueux et imprévisible, rêvant d’envolée lointaine vers une Amérique du Sud mythique est formidable.
Tiens me voici en train de faire défiler pour mémoire les films vus depuis le début de l’année. Justement ce que je disais ne plus avoir envie de faire. Comme quoi ! Contradictions à tous les étages ! Je n’en ai pas fini avec mes envies et aspirations contradictoires autour de ces écritures ici.
Mais pour l’instant je m’en vais encore laisser reposer tout ça. Je pars quelque temps pour m’occuper de ce qu’il y a de plus concret, les travaux dans notre maison du sud, mais avec la volonté de prendre aussi le temps de m’aérer, respirer, marcher, de profiter j’espère d’un air qui sera un peu plus doux, un peu plus chargé de promesses printanières…