"Copie conforme"
« Copie
conforme », le dernier opus de Kiarostami, en compétition à Cannes, est un
film qui surprend et dont j’ai cru un long moment qu’il allait m’exaspérer. Au
cours de la première demi heure je me disais : quel ennui, mais quel ennui !
Tout me paraissait faux, le comportement étrange de la femme, son rapport avec
son fils, la façon dont elle rentre en relation avec cet historien d’art tombé
du ciel, les discussions oiseuses dans lesquelles ils se lancent sur l’original
et la copie dans l’art, la façon dont elle l’entraîne dans une improbable virée
vers un petit village toscan.
Et puis, à partir de la simple
méprise de la serveuse d’un café qui les prend pour mari et femme, s’enclenche une
mécanique vertigineuse admirablement conduite. Je ne dirai pas le roman que la
femme se construit par glissement successifs d’une autre histoire dans celle
qui se joue devant nous, je vous le laisse découvrir. Mais du coup, éclairé par
la suite du récit, pourtant encore plus improbable, le comportement bizarre de
la femme au début ne parait plus l’être tant et tout prend sens. Derrière sa
fragilité psychologique, son malaise existentiel, affleurent des questions
fondamentales sur le couple dans son éclat comme dans son déclin et plus
largement sur l’individu dans sa solitude radicale. S’y joue (ou s’y rejoue ?),
dans le temps bref d’une après-midi mordorée sous le ciel de Toscane, une
histoire de couple qui pourrait être l’histoire de toute une vie, l’approche,
la séduction, les absences, les scènes de ménage feutrées puis violentes, les
retours de tendresse. Les interrogations abstraites ou théoriques du début sur
l’original ou la copie en art s’incarnent soudain dans la vie. Toute la
progression est portée par l’interprétation admirable de Binoche et certaines
scènes sont bouleversantes : l’échange avec le couple de touristes (« ce
dont elle a besoin c’est que vous mettiez sa main sur son épaule »), le
moment de recueillement dans l’église (qui est aussi celui où elle enlève son
soutien-gorge !) et ce plan magnifique qui suit, lorsqu’elle sort de
l’église derrière ce très vieux couple brinqueballant mais qui se soutiennent l’un
l’autre avec une infinie tendresse, enfin, dans l’hôtel, la toute petite
fenêtre ouverte sur le ciel et sur le mouvement des cloches, c’est comme un
envol.
J’aime aussi, parce qu’elle
me fait méditer, cette réplique de l’homme qui, évoquant l’évolution de la vie
amoureuse, cite ce vers d’un poème persan : « le jardin du
dépouillement, qui ose nier sa beauté ? ».
C’est un film qui peut-être n’est pas très facile à aborder et à accueillir mais c’est une œuvre d’une grande richesse et profondeur et qui je pense laissera durablement sa trace en moi, d’autant que certaines de ses thématiques font directement écho à mes propres interrogations.