Dans le TGV
J’ai dû faire cette dernière
fin de semaine un saut de puce dans ma maison du midi.
J’ai pris le train de nuit
jeudi soir (ouf, la grève n’était pas trop suivie ! mon train a roulé) et
j’ai débarqué, les yeux encore embués du sommeil manquant de la nuit, dans une
petite gare de campagne à une quinzaine kilomètres de notre lieu. L’architecte
est venu m’y chercher à huit heures du matin et nous avons filé sur le
chantier. Nous n’avons pas débandé - si j’ose dire – jusqu’à sept heures du
soir, faisant le point successivement avec tous les corps de métiers et
procédant aux derniers choix. J’ai dîné et dormi chez ma cousine, il m’aurait
paru discourtois de m’éclipser dans ma chambre tout de suite après le repas
quoique j’en aurai eu envie, je me suis donc offert une soirée télé, ce qui m’est
peu habituel. Ce matin j’ai repris mes rendez-vous, mais sur un tempo plus lent,
m’offrant des espaces de respiration.
Je me sens toujours un peu
décalé dans de telles bulles de suractivité, à être en permanence avec d’autres,
en permanence sollicité, sans possibilité de moments où m’échapper juste avec
moi-même. J’ai d’autant plus apprécié en fin de matinée ce moment que j’ai
passé seul dans le jardin de la maison, avant de repartir déjeuner chez ma
cousine. C’est la densité du temps occupé qui donne son prix au temps
désoccupé. J’ai d’abord laissé flotter mon esprit un long moment, m’imprégnant
juste de la paix de l’endroit, des bruits assourdis, des odeurs d’herbe et de
fleurs puis j’ai fait quelques photos. Des roses ont écloses, certaines étaient
toutes neuves, toutes fraîches, ces fleurs « civilisées » ont d’autant
plus de charme qu’elles surgissent des herbes hautes du jardin peu entretenu,
ensauvagé. Et j’ai observé, dans le silence et le respect, les insectes
butineurs accomplissant leur indispensable office.
J’ai repris le train dans l’après-midi.
Lors de ma correspondance à Toulouse j’ai eu un temps suffisant pour sortir de
la gare et me poser sur un banc au bord du canal, à la hauteur de l’écluse.
Nulle péniche n’a pointé son museau, mais j’ai repensé à une semblable attente,
à un semblable moment, sur le même banc, avec quelqu’un qui, me lisant, sans
doute aussi se souviendra…
Maintenant le TGV presque
vide file vers Paris. J’ai posé mon livre (« Le noir est une couleur »
de Grisédélis Réal, qui fut la « catin révolutionnaire » des années
70, un livre dur, à la fois sombre et lumineux, à l’écriture puissante, dont il
faudrait que je reparle si j’ai le temps). J’ai un « carré » pour moi
tout seul, j’ai pu allonger mes jambes, poser mes pieds déchaussés sur le
fauteuil en face, je suis dans le sens de la marche et j’attrape entre deux
mots que j’écris sur mon carnet de grands morceaux de paysage, les bords de
Canal du Midi, des villages d’Aquitaine, la brume s’épaissit qui noie tout,
avec la nuit qui vient…
(Écrit hier dans le TGV, vers 21heures, mis en forme ce matin…)