D'un mauvais film et de quelques autres
J’ai vu le week-end dernier « Amore » de Luca Guadanino. J’y allais en me disant : ça ne sera sans doute pas l’œuvre de l’année mais j’ai envie ce soir d’un film plein de mouvement, romanesque et avec de belles images, ça devrait le faire... Ben non, ça ne l’a pas fait et pourtant je suis plutôt bon public. Ce ne devrait pas être la peine de s’y arrêter alors. Sauf qu’en même temps, comme pour un mauvais livre, la seule façon d’y trouver un certain intérêt, est de s’interroger sur pourquoi c’est à ce point raté. Car à priori le récit n’est pas inintéressant, les tensions sociales et familiales qui sont évoquées ont du sens, l’embrasement amoureux qui permet à une femme, fut-ce au prix d’un drame, de s’évader du cocon dans lequel elle étouffe est fortement romanesque, l’actrice qui joue cette femme, Tilda Swinton, est absolument excellente, tout à tour impériale, fiévreuse, défaite. Le film est ambitieux, trop certainement, et c’est ce qui le tue. On pense à Visconti devant cette grande famille en cours de décomposition qui évolue dans de somptueux décors. On pense à Pascale Ferran et à son superbe « Lady Chatterley » quand se noue une idylle qui bouscule les situations de classe des personnages. Certaines scènes dans la première partie du film sont réussies grâce à Tilda Swinton qui exprime magnifiquement le basculement dans la passion, la mise à mal de tous les repères et carcans qu’elles s’étaient construits dans ce monde qui n’est pas le sien. Mais ensuite ça se gâte irrémédiablement. Le manque de distance du réalisateur, son académisme, la lourdeur de ces procédés, la musique pompeuse se font de plus en plus pesants. Le ridicule pointe son nez avec une scène d’amour bucolique : ce qui était magnifique et sensuel poème panthéiste chez Pascale Ferran est ramené ici à une imagerie niaise. Et ça ne fait ensuite qu’empirer en basculant dans un mélodrame boursouflé qui à défaut de faire pleurer peut faire rire (jaune). Une scène qui se veut tragique et qui n’est que ridicule et c’est tout le film alors qui se déconstruit et même ce qu’on avait trouvé pas mal au début en est rétrospectivement atteint. Dommage. N’est pas Visconti, ni non plus Pascale Ferran, qui veut !
Je profite de ce coup d’œil cinéma pour faire mon petit mémento de derniers films vus, juste pour ne pas les oublier totalement:
« Happy few » : pas mal, sur l’ouverture amoureuse, sur la partage et la non jalousie, sur la légèreté des débuts mais aussi la pesanteur des normes qui rendent si improbable un déploiement harmonieux et sans douleur de ce qui pourtant devrait être possible à des êtres adultes et suffisamment construits au fond d’eux-mêmes.
« Des hommes et des dieux » : C’est bien certes, mais j’ai ressenti une légère déception tout de même en regard d’une critique trop élogieuse. Certaines scènes passent mal, les discours du prieur sont un peu agaçants (quoique ce soit sans doute à peu près le ton et les paroles réellement dites mais décidément ce ton catho-cucu m’exaspère !). Londsdale par contre est excellent (comme toujours) et la scène de festivité profane est magnifique, chacun des visages scruté au plus près est extraordinairement parlant.
« The housemaid » : très bon, ici tout est bien rendu, la dureté des rapports sociaux et personnels, la violence implacable des puissants, le droit de cuissage du maître et l’ambigüité de certains des rapports qui se nouent ensuite. La rugosité des rapports sociaux est montrée ici de façon tout aussi terrifiante mais infiniment plus subtile et convaincante que dans « Amore ». Je me suis demandé quel était le sens de la longue scène d’introduction qui parait sans rapport avec le reste du film. J’ai pensé à postériori que la jeune fille que l’on voit se suicider pourrait être la fille du couple qui, marquée par la culpabilité sociale, déciderait ainsi d’expier le mal fait à la servante en reproduisant son geste quelques années plus tard. On peut penser, comme on peut ne pas le penser. Le film laisse une certaine liberté. Contrairement à « Amore » où tout est fléché à gros traits.
Il y en aurait tant d’autres films à voir. Il y a presque trop qui sortent, comme il y a trop de livres. Ils n’ont pas le temps de s’installer qu’ils ont déjà balayé par les nouveautés. Je voudrais voir « Benda Bilili » et « Un homme qui crie », des films de la petite mais vaillante cinématographie africaine qu’il serait bon de soutenir, comme je voudrais voir « Entre nos mains » mais je me fais souvent happer d’abord par les grosses machines médiatisées et après il est trop tard, ils ont disparu des écrans.
Allez, une dernière chose, qui est un coup de gueule ! Au MK2 Bibliothèque il y avait jusque là une vraie librairie, pas très grande mais dans laquelle il faisait bon flâner en attendant son film plus une boutique de cd et une autre de bd et d’affiches et objets autour du cinéma. Tout ça a été remplacé par une sorte de mini souk chicos et prétentieux qui vend trois bouquins, trois cd, trois vêtements, trois parfums, trois produits alimentaires de luxe. Derrière l’apparence, le vide. Ce n’est pas bien important en soi mais tellement symptomatique de notre société ! ça me rend ce lieu, où il y a les plus agréables salles de cinéma de Paris, bien moins sympathique et idem quant au père Marin Karmitz dont je persistais à penser, en dépit de ses positions et initiatives récentes, qu’il gardait quelque chose de ses débuts alors que sa boîte est devenue une petite major de la production et de la distribution cinématographique pas plus recommandable que les autres.
Tout de même, mais uniquement pour Tilda Swinton!