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Les échos de Valclair
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11 décembre 2010

Lectures-relectures de Sollers

Demain j’ai l’intention d’aller au café littéraire de L’œil bistre, animé par Elizabeth et quelques autres et dont la séance sera cette fois consacrée à Philippe Sollers. Du coup j’ai remis le nez dans quelques uns de ses bouquins.

Je m’aperçois d’ailleurs que je l’ai finalement peu lu, en regard de l’abondance de son œuvre, alors que je croyais le connaître assez bien. En fait je me rends compte que, comme beaucoup de monde, je le connais surtout par des interviews, des articles, voire des polémiques, bref par sa présence médiatique.

J’ai commencé par relire « Femmes ». J’avais bien aimé me semble-t-il quand j’avais découvert ce bouquin dans les années 80 même si je me souviens que j’avais d’emblée trouvé déplaisant le regard porté sur la sexualité et sur les femmes. Là ça ne passe plus et j’ai laissé tomber au bout de cinquante pages. Je suis franchement agacé par le ton, par une certaine suffisance dans la façon de se mettre en scène à mots couverts, par le côté roman à clés sur les intellos français post soixante-huitards, comme, encore plus, par l’image donnée des femmes. Je sais bien que Sollers aime jouer de la provocation, mais quand même !  Le style aussi m’est assez pénible. C’est une écriture au fil de la pensée et du verbe, accumulant des énumérations, d’auteurs, de citations, d’idées, rythmée par des points de suspension en excès, donnant ainsi l’impression d’un livre qui est une sorte de prurit, de diarrhée verbale d’un esprit extrêmement rapide et brillant certes mais qui se contente de lâcher sa plume.

J’ai repris aussi « La fête à Venise » dont je gardais moins de souvenir. J’ai une impression également assez négative, moins que pour « Femmes » cependant, je suis à mi-course, je vais essayer de le finir mais plus par curiosité, pour conforter ou infirmer mon premier ressenti que par plaisir véritable. Là encore c’est bourré de citations, digressions, considérations, réflexions artistiques, littéraires, historiques dont certaines prises isolément peuvent être intéressantes ou en tout cas stimulantes mais qui ensemble forment un patchwork indigeste dans lequel on se perd et qui empêche qu’on puisse s’attacher aux personnages et trouver les lignes de force d’ensemble du récit. On pourrait dire que la thématique générale c’est la vérité de l’art dans sa fondamentale gratuité, symbolisée par Watteau et le beau 18° siècle opposée à la marchandisation moderne. Peut-être, mais en tout cas tout ça est un peu trop sophistiqué pour moi.

Par contre j’ai lu et pour le coup, bien apprécié « Un vrai roman. Mémoires » Cette fois c’était une première lecture. J’ai eu l’impression de rentrer avec moins de faux semblants dans le personnage de Sollers et de comprendre, un peu, ce qui le constitue : Son enfance dans son milieu privilégié bordelais parmi les femmes ; la primauté pour lui de la littérature et de l’art dans la gratuité par opposition à la politique qui n’avait de sens qu’en tant que révolte et à la vie sociale en général, « la magie blanche de l’art » contre « la magie noire de la société » ; les livres, les rencontres intellectuelles essentielles et les femmes capitales, Dominique Rolin et Julia Kristeva ; le goût des femmes et des jouissances comme affirmation de vie face à une mort qui, si l’on suit Epicure, en vérité n’existe pas, n’est que la pensée que, vivant, on en a ; la valorisation du beau 18° et d’un certain aristocratisme de « l’homme de goût » face à la « plate époque » moderne du politiquement correct et de la marchandisation généralisée, « plèbe en haut, plèbe en bas »…

Il y a des vues intéressantes et moins elliptiques, codées ou provocatrices que dans ses autres livres sur l’histoire intellectuelle du dernier demi-siècle à laquelle il a été fortement mêlé. Les digressions ici sont moins gratuites, elles contribuent, comme les pièces d’un puzzle, à l’approfondissement du portait. Il y a aussi des pages très belles, littérairement parlant, évocatrices de son enfance bourgeoise bordelaise, de certaines rencontres, de certains lieux comme Venise où souffle l’esprit comme de ce bord d’océan, à Ré, où il écrit le présent livre. Certes j’ai ressenti aussi, surtout vers la fin, un certain agacement devant des plaidoyers pro-domo par trop insistants, devant cette tendance qu’a un esprit qui se sent supérieur au mépris à l’égard des autres, devant l’affirmation d’une satisfaction de soi sans mélange, renvoyée sans ménagement à la face de ses détracteurs (on peut se demander d’ailleurs s’il ne surjoue pas quelque peu cette satisfaction : il laisse entendre aussi ici ou là qu’il y eut dans sa vie des moments de franche dépression, au bord du suicide).

Bref c’est un livre très intéressant, lu avec un vrai plaisir, qui apprend des choses et fait réfléchir, qui permet de mieux appréhender Sollers, y compris dans ses contradictions et de percevoir un peu de la personne derrière le personnage. Ça ne le rend pas pour autant l’homme Sollers automatiquement sympathique, ça ne fait pas automatiquement aimer ses livres, la preuve, mais disons que ça atténue sensiblement l’impression négative que je pouvais avoir de lui.

 

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Commentaires
E
Le commentaire ci-dessus de Valclair n'était pas encore affiché lorsque j'ai écrit le mien - pardon si j'ai l'air de répéter ce qu'il dit (très bien d'ailleurs)...
E
Pas consensuel le Sollers ! Cher Valclair, merci de l'écho que tu as fait des séances de lecture de l'Oeil Bistre. Trop occupée à la préparer, je n'avais pas lu ton billet du 11 décembre lorsque la séance Sollers s'est tenue. Les réactions des participants reflètent assez celles de tes commentateurs : Sollers agace beaucoup. <br /> <br /> Moi aussi, il m'agace souvent, mais je crois qu'il gagne à être connu. Son goût pour le 18e siècle est à la fois fin et profond - et, je le crois, sincère. Peut-être sa manière d'écrire et ses constantes digressions sont-elles plus faciles à accepter dans les essais (comme Casanova l'Admirable ou Le Cavalier du Louvre) que dans les "romans" (je mets des guillemets parce qu'ils n'ont guère de structure narrative romanesque...) C'est en tout cas ce que j'ai essayé de montrer hier. <br /> <br /> Globalement, je suis plutôt de l'avis de Carmilla, et j'ajouterai une chose : s'il n'y a guère de consensus sur Sollers, c'est qu'il dérange, et cela c'est salutaire !
V
A vrai dire je ne suis pas foncièrement surpris, Carmilla, de cette opinion venant de vous! Et je connais plein de gens très bien qui aiment Sollers!<br /> <br /> Quant au fait qu'il déclenche la polémique, c'est aussi parce qu'il la cherche, en maniant la provocation, en jouant de ses paradoxes. Mais c'est un choix, un plaisir qu'il se donne, ça fait partie du jeu auquel se résume la vie.<br /> <br /> Bien sûr personnellement je me retrouve plus dans les réactions de mes autres commentatrices.<br /> Mais je souligne cependant que même s'il est parfois pénible à lire, si sa personnalité est peu sympathique, il pointe néanmoins avec acuité des vraies questions, il gratte où ça fait mal par rapport à certains consensus sociaux mous, bref il fait réfléchir. Comme Houellebecq en effet que je lis aussi avec (beaucoup) d'intérêt même si je n'aime pas vraiment. Et comme le dit Carmilla les essais littéraires spécialement sur les auteurs du 18° sont remarquables (je ne les ai pas lu encore mais c'est ce que je retire des extraits et présentations que j'en ai entendu à l'oeil bistre hier). Donc il ne faut pas, par à priori, se tenir loin de lui...
A
j'ai exactement le même sentiment que toi : l'impression de quelqu'un qui n'aurait écrit que dans le plaidoyer pour lui même, que pour trouver une issue honorable au mépris dont il est plein. Houellebecq me fait gzactement une impression du même genre.
C
Je ne veux pas polémiquer parce qu'on a bien sûr le droit de ne pas aimer Sollers. Ce qui est intéressant, c'est que l'évocation de son nom déclenche à chaque fois la polémique. Il est vrai qu'il sait prendre à rebrousse-poil et s'attaquer aux idée reçues. Moi, au risque de passer pour snob ou bobo, je considère qu'il est l'un des grands écrivains contemporains qui restera dans l'histoire de la littérature. Ses essais littéraires sont de toute manière remarquables. Ce qu'il écrit sur les femmes ne me gêne pas. Au moins, il ne les considère pas comme des nunuches.<br /> <br /> Carmilla
Les échos de Valclair
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