Deux films
J’ai vu deux films le
week-end dernier, dissemblables c’est le moins qu’on puisse dire !
D’abord « 4 mois, 3
semaines et 2 jours » . C’est un film coup de poing qui se déroule
selon un tempo implacable. Il nous prend par la main dès le départ et nous
conduit là où il veut sans nous laisser souffler, c’est comme un grand coup à
l’estomac pendant toute la durée du film. Il n’y a pas d’imprévu, pas de
fantaisie, aucune légèreté d’aucune sorte. Peut-être est-ce d’ailleurs la faiblesse
qu’on peut lui trouver : il est totalement prévisible, il n’offre aucun
espace de liberté à l’imaginaire du spectateur mais sans doute est-il conçu
exactement pour cela, pour nous tenir prisonniers.
Le manque de complexité des
personnages est une limite aussi. Otilia la bonne copine, qui aide, se dévoue,
organise, agit est la force sans faiblesse (ou qui du moins se montre capable
de bousculer et de surmonter ses éventuelles faiblesses), Gabita, la jeune
femme qui doit avorter est tout l’opposé. Les deux personnages s’opposent d’une
façon un peu trop caricaturale qui renforce ce côté par trop prévisible.
La caméra, totalement
subjective, suit Otilia sans la lâcher d’une semelle. Elle tente et parvient à
nous faire percevoir ce qu’elle ressent tout au long de ces heures
terrifiantes, l’urgence de l’action qui ne tolère pas d’atermoiements, la
menace permanente qui sourd de partout, l’incroyable violence de l’affrontement
qui oppose les jeunes femmes à l’avorteur, sûr de son pouvoir et qui jouit de ça
plus que de toute autre chose, la conscience de l’inhumanité de ce à quoi elles
sont conduits (la plan sur le fœtus mort qui a été très critiqué, avec ses
traits déjà tellement humains et n’est pas là pour conduire le spectateur à une
condamnation morale de l’avortement, il est là comme un constat, comme tout le
reste du film d’ailleurs, ce film est un constat et c’est de là qu’il tire sa
force).
Le film est aussi en creux
un documentaire sur l’état de la Roumanie à cette époque. On y voit
l’environnement sordide de la ville provinciale dans laquelle évoluent les
personnages. On y devine bien des contradictions sociales et culturelles à l’œuvre lors de la fête chez
le petit ami d’Otilia à laquelle elle se trouve contrainte de participer tout
en ayant l’esprit totalement ailleurs. Ces mots qu’elle-même entend à peine
sont pour nous pleins d’enseignements sur l’épuisement social et politique
auquel en était arrivé le système.
Ce n’est pas un film dont on
sort le sourire aux lèvres et avec l’envie de chantonner. On en sort un peu
groggy mais c’est un film fort qu’il faut avoir vu et puis, tout de même, si,
il y a une part d’optimisme, l’énergie que dégage Otilia montre que résister,
combattre, même sur un plan strictement individuel, est toujours possible.
Après cela je souhaitais quelquechose
de plus léger. J’ai été voir « L’histoire de Richard O. » m’attendant
à trouver là un film gai, ludique, plaisamment sexy. C’est ce qu’induisait la
critique de Télérama qui titrait son article sur ce film : « La chair
pas triste ». Voire ! Difficile de voir ici le « sexe comme fête
joyeuse ». Richard que joue un Mathieu Amalric assez étonnant est un
érotomane immature, plutôt pitoyable, vaguement déprimant, qui fait parfois
sourire, plus souvent rire jaune. Il y a plus joyeux comme fantasme érotique
féminin que l’envie d’être violée. Il n’est pas indifférent non plus que le
sport auquel le héros (l’anti-héros) s’adonne ou tente de s’adonner soit la
lutte. On n’est pas dans des fantasmes ludiques joyeusement partagés mais dans
des rapports de force, des chasseurs et des chassé(e)s même si le chasseur
apparaît souvent comme un pantin fragile et la victime consentante de
chasseresses. (Certains diraient peut-être que c’est justement cette position
subalterne de l’homme qui n’est en rien maître du jeu qui me met mal à l’aise
mais franchement je ne crois pas.) Eros finalement, malgré le rire, n’est
jamais loin de Thanatos. Et d’ailleurs il y a mort d’homme, et celle-ci est
posée d’emblée puisque le film démarre sur la mort de Richard et n’est qu’un
long flash back qui montre ce qui y a conduit.
Cela dit ce fond qui n’est
pas gai baigne en effet dans une lumière plutôt joyeuse, dans un climat farfelu parfois quasi burlesque qui
atténue ce que le personnage peut avoir de déprimant et de déplaisant. Il y a de
beaux moments poétiques, de jolies promenades dans un Paris aux beaux ciels, un
enchaînement peu prévisible des situations qui fait qu’on ne sait jamais trop
où l’on nous mène, une façon de filmer la sexualité à la fois crue et directe
mais dont le rythme, les coupes, les cadrages originaux évitent toute
pornographie pesante.
Et puis surtout il y a le personnage de l’ami. Ce grand oiseau dégingandé, au visage disgracieux et au cœur tendre, apparaît comme l’antithèse du torturé Richard. Il aperçoit une belle jeune femme nue par sa fenêtre, il va sonner chez elle, sa simplicité de cœur fait qu’il ne doute de rien, il a raison, une improbable histoire d’amour se noue immédiatement, bien plus belle, bien plus vivante que la consommation effrénée auquel se livre le pauvre Richard. Le film se termine dans une jolie tendresse sensuelle et très chaudement amoureuse entre ces deux là mais Richard lui n’est plus là…