Broken flowers
Entre
autre choses d’un week-end fort chargé que je n’ai pas envie de détailler j’ai
été voir « Broken flowers » de Jim Jarmusch. Sur le moment ce film m’a
laissé un peu décontenancé je ne savais pas trop si j’aimais ou pas mais j’ai
l’impression que sa trace en moi s’approfondit à mesure que les heures passent.
J’ai
perçu d’abord surtout une histoire un peu prétexte menant à des scènes avec
chacune des femmes autrefois aimées parfois fort drôles mais outrées et peu
crédibles et auxquelles il m’était difficile d’adhérer. Je perçois maintenant
le film différemment. Il ne faut pas prendre tout ça à la lettre, évidemment.
L’histoire est cousue de fils blancs, les « indices » policiers ne
sont que des signes, les personnages ne sont pas réalistes, plutôt
archétypiques. Ce que l’on voit d’eux peut-être n’est que la trace qu’ils
laissent sur le personnage principal, l’image que lui s’en construit. Il n’est
pas réaliste que la petite Lolita en fasse autant pas plus que n’est réaliste
la façon dont la médiatrice animalière communique avec les chats, chiens et
autres lapins. Mais il se crée peu à peu un climat envoûtant au travers de
cette lente errance à travers l’Amérique. Le rythme est lent, volontairement,
le passage entre les scènes fortement marqué par l’usage très systématique du
fondu au noir qui crée des moments de latence pour le spectateur,
favorable à la mise en mouvement de l’imaginaire et des références affectives
de chacun. C’est ça sans doute qui permet que le film ensuite s‘imprime en nous
avec force.
Le
film repose en particulier sur la talent de Bill Murray, vraiment excellent dans
sa façon de faire ressentir sa dépression larvée, sa lassitude immobile, son
absence à lui-même mais aussi parfois la fulgurance de ce qui passe en lui, des
éclairs de vie qui se reflètent dans un sourire amorcé, dans l’éclat fugitif
d’un regard. Il joue non seulement de son visage mais de toutes ses attitudes
corporelles avec brio. Il parvient ainsi à refléter dans un même moment des
émotions et des sentiments contradictoires (c’est ça qui est très fort, cette
simultanéité dans le temps). Il devient profondément émouvant à mesure que le
film avance.
On
perçoit peut-être alors le vrai sujet de « Broken flowers » : la
distance radicale entre les êtres, la solitude irrémédiable. Et la vie qui va,
cependant, cahin-caha, avec sa désespérance profonde mais avec ses rires aussi
et ses bonheurs presque de hasard.