Adultère
Décidément je n’ai guère
accroché à la série d’articles d’Aldo Naouri à propos de l’adultère, bonnes
feuilles qu’a publié Le Monde ces jours ci, issues de son dernier ouvrage. Á
vrai dire je ne me serais pas arrêté à ces textes, n’eut été l’analyse et les
commentaires fouillés qu’en a donné Samantdi.
Je peux en comprendre le
point de départ. Réflexion construite à partir de ses entretiens de pédiatre
avec les parents des enfants qu’il suit, polarisée par les dysfonctionnements
et les dégâts occasionnés chez ceux-ci par les difficultés et troubles des
parents, elle se centre uniquement sur les aspects négatifs que peuvent
comporter les relations sexuelles adultères, présentées à la fois comme quasi
inévitables, signe d’infantilisme et d’une insuffisante maturité affective.
Tout cela est posé comme une donnée ce qui me paraît bien tristement
déterministe. « Les anciens enfants sont contraints d’en passer par là en
se donnant l’illusion d’être autonomes ». C’est un discours médical, au
mauvais sens, un discours réducteur, un discours d’expert qui sait, qui regarde
de haut ces pauvres grands enfants que nous sommes, occupés à nous débattre
dans nos contradictions. Le sexe a sa place naturellement et éminente mais quid
de tout le reste, de l’infinie variété des personnes, des histoires
individuelles, des sentiments et des émotions, de l’imprévisible dans
l’alchimie des rencontres. Samantdi nous rappelle à juste titre que la
littérature nous parle aussi de tout ça et infiniment mieux que les médecins et
les psys (du moins lorsqu’ils restent étroitement cantonnés à leur spécialité).
L’emploi du mot
« adultère » lui-même avec toute la charge négative qu’il porte est
déjà significatif du regard réducteur d’Aldo Naouri. Il aurait pu sans pour
autant masquer l’existence des difficultés et des souffrances traiter par
exemple « des libertés sexuelles dans le couple », ce qui aurait
donné un tout autre éclairage, moins négatif à priori. Car il y a bien d’autre
manières d’être malheureux dans un couple que l’adultère. Et il y a à l’opposé
des couples qui vont bien parce qu’ils parviennent à renégocier le contrat et
grâce aux libertés que ses protagonistes peuvent accepter de se donner dans
tous les domaines, y compris dans celui des relations sexuelles. Et puis un
couple doit aussi pouvoir accepter l’idée qu’il peut finir et que pour autant
ce ne sera pas inévitablement dans le drame, qu’il peut y avoir moyen d’en
sortir par le haut, en continuant à avoir (ou en retrouvant après une phase
plus difficile) des relations amicales, en continuant en tout cas à se porter
de la considération et à respecter l’histoire commune qui a été vécue.
Bien sûr loin de moi l’idée
d’idéaliser tout cela, de laisser croire un tant soit peu, que cela puisse être
facile, harmonieux, sans conflit et sans douleur. Ne serait-ce que parce que
les membres d’un couple n’avancent pas au même pas, que ce qui pourra paraître
simple et facile pour l’un des protagonistes paraîtra inaccessible et
terriblement douloureux pour l’autre. Ne serait-ce que parce que chacun se
dépatouille par ailleurs avec ses propres névroses personnelles, ses douleurs
souterraines et qu’elle s’invitent inévitablement dans la relation pour la
complexifier, éventuellement la pervertir et parce que l’instinct de possessivité
est puissant en chacun. Ne serait-ce que parce que les relations humaines
tiennent de l’imprévisible et que ce qui au départ pouvait n’être qu’une
relation annexe, de simples plaisirs partagés, une amitié amoureuse, une
inoffensive passade peut se révéler comme une remise en cause profonde qui
bouleverse les équilibres (heureusement d’ailleurs, c’est la vie tout
simplement, tout n’est pas calculable et maîtrisable).
Les modèles de la famille et
du couple que nous connaissons n’ont rien d’éternels. Ils ont évolué aux cours
des temps et selon les lieux, en fonction des conditions matérielle, sociales,
idéologiques et religieuses des sociétés. Regardez, c’est un exemple parmi
d’autre et plutôt radical dans sa différence, le fonctionnement de la société Moso
que Samantdi encore nous invite à méditer à partir d’une récente émission sur
Arte. Il n’y a aucune raison que ces modèles ne continuent pas à changer. Il me
semble en tout cas plus profitable de réfléchir à cette relativité, de tenter
de construire, à partir de là où chacun d’entre nous en est, dans le maquis de
nos contradictions et de nos difficultés, sans révolutionnarisme excessif, sans
illusions destructrices (l’amour libre des communautés post soixante-huitardes
ça n’a pas marché) des relations entre les gens et au sein des couples qui
aillent vers plus de tolérance, plus d’ouverture, moins de possessivité. La clé
pour que ça marche (à peu près) c’est que chaque adulte se construise pour
lui-même, par lui-même, que le couple ne soit pas béquille pour individus
souffrants mais partages et apports mutuels entre adultes responsables et
autonomes.
Je répète : je n’ai pas
dit que c’était facile ni même à tout coup réalisable. Disons que peut-être
c’est un objectif vers lequel tendre, un horizon vers lequel se diriger…