La glace et le feu
J’ai vu deux films ce
week-end. Peuvent-ils être plus dissemblables ?
L’un « La Tourneuse de
pages » raconte la vengeance d’une jeune fille autrefois désarçonnée
pendant un concours de piano par l’attitude d’un des membres du jury, une
pianiste renommée. Des années après elle pénètre dans l’intimité de cette
pianiste qui connaît des difficultés dans sa carrière et traîne une dépression
rampante. La jeune fille devient la tourneuse de pages de la pianiste, elle
prend l’ascendant, la rend dépendante d’elle, elle laisse même se développer
une attirance sensuelle qui pourrait bien devenir de l’amour. Mais l’éclosion
des sentiments reste caparaçonné et ne s’exprime qu’à peine. Les personnages
restent figés l’une dans sa dépression. l’autre dans l’obsession de sa
vengeance. Le jeu des actrices est bon mais tristement monocorde, c’est le
scénario qui veut ça sans doute mais du coup le film échoue à donner aux
personnages une véritable épaisseur humaine. Ce film, c’est la glace, la mise
en scène est précise, sans débordement, laissant monter la tension mais d’une
façon assez convenue et sans surprise. C’est bien fait, mené avec efficacité,
ça donne un thriller psychologique qui se laisse voir mais on reste extérieur
et du coup on est au bord de l’ennui.
L’autre « Ça
brûle » montre dans un petit village provençal d’aujourd'hui la dérive
d’une adolescente en rébellion, pleine d’élans et d’impatiences, lorsqu’elle
s’entiche d’un pompier du village. Il y a quelquechose du documentaire dans le
film dans sa façon de montrer le village, les élans désordonnés des ados, la
vie d’une brigade de sapeurs pompiers, le départ d’un feu et son développement
(ces dernières scènes sont superbes). La camera est très proche des
personnages, elle les suit à la trace, épousant les chevauchées de Livia et les
embardées des ados sur leur scooter, suivant les tours et détours de Livia
rôdant autour du pompier, s’accrochant à ses basques puis allant jusqu’à
provoquer dans la pinède que secoue le mistral un incendie fatal. On est au
plus près des corps dans leurs mouvements les plus anodins. Rien n’est expliqué
mais tout est montré au plus près et du coup on rentre dans les personnages
aussi distants de nous soient-ils en réalité. Tout ça se construit peu à peu et
les scènes du début pendant la chevauchée de Livia à travers le village qui
pouvaient paraître un peu lentes et ennuyeuses prennent sens et construisent
l’ambiance et les personnages en profondeur. C’est un film qui prend de
l’épaisseur quand il s’achève et se bonifie au regard rétrospectif tout à
l’opposé de l’autre qui n’a pour lui que l’attente qu’il suscite pendant qu’on
le voit.
La différence de façon de
filmer entre les deux, qui n’est naturellement pas liée seulement au sujet mais
avant tout à la personnalité et au style des réalisateurs, m’a sauté aux yeux.
Il y a le glacé et le brûlant mais il y a aussi le distant et le proche.
Inutile de dire que j’ai préféré le proche et le brûlant au distant et au
glacé !