Matin de Noël
Je me suis éveillé tôt. Tous
dorment encore. Je me suis extrait silencieusement de la chambre pour ne pas
déranger Constance, les garçons eux dorment au salon, je suis donc confiné à la
cuisine, je me fais couler un café, je regarde par la fenêtre le jour qui se
lève, il y a un épais brouillard, on ne voit pas le bout du parc qui domine la
résidence qu’habite ma belle-mère et où nous sommes pour la nuit de Noël et la
journée qui suit. Je feuillette les livres qu’on m’a offert et ne sais par
lequel commencer : Erri de Luca, Nancy Huston… Mais j’ai sorti mon petit
carnet qui toujours m’accompagne et je commence à tracer ces mots.
Je me suis éveillé tôt et
pas sur de très bonnes pensées. Impression que tout est lourd et compliqué autour
de moi. Impression que tout est lourd au dedans de moi. J’ai la bouche un peu
pâteuse même si j’ai fait attention à ne pas trop boire, à ne pas trop manger
hier, mais malgré tout ce devait être un peu trop, la preuve. Horizon bouché.
Réflexions tournoyantes à propos de que faire des jours à venir. J’ai une
pensée qui me donne le vertige pour mes matins de Noëls d’antan, hier j’avais
exhumé ces pensées avec nostalgie mais avec plaisir et tendresse, ce matin
elles viennent à moi dans la douleur, le sentiment d’irrémédiable est
déchirant, pas seulement nostalgique.
Hier dans notre assemblée,
il y avait le père de mon beau frère, un très vieux monsieur de quatre-vingt
quinze ans que je vois une fois par an à l’occasion de Noël justement. Il a
beaucoup baissé d’une année sur l’autre. Sa surdité est devenue complète,
l’isolant de façon radicale. Difficile de savoir si la surdité explique seule
qu’il paraisse si lointain ou s’il glisse aussi dans l’absence parce qu’il perd
ses repères et ses moyens intellectuels. Est-ce que cela a grand sens de le
traîner dans ce genre d’assemblée sous le prétexte qu’il ne faut pas laisser
les vieux seuls un jour de Noël ? Est-ce que ce n’aurait pas été mieux
pour lui de se reposer hier et puis que ses enfants et ses petites filles le
reçoivent en petit comité aujourd'hui, qu’il puisse être un peu au centre de
l’attention, qu’on prenne le temps de tenter de communiquer un peu avec lui.
Dans cette grande assemblée il était au milieu de nous tous qui le voyions à
peine, sa présence absence était un crève-cœur, ce sera pareil quand il va
revenir tout à l’heure pour le déjeuner.
Oui décidément c’est lourd,
trop lourd, ces Noëls de famille élargi. Vingt quatre personnes hier soir,
quatorze pour déjeuner tout à l'heure. La plus grande partie des convives sont
les mêmes, quelques uns sont différents. Ce matin on va finir de ranger les
agapes d’hier et déjà il faut préparer la table pour celles d’aujourd'hui. Moi
je vais me dispenser en partie de ces préparatifs, je vais aller accueillir mon
père à la sortie du RER, nous ferons une promenade apéritive dans le parc du
château et sur la terrasse qui domine la Seine puis je lui conduirai jusqu’ici
par les petites rues piétonnes, cela va me faire du bien de sortir un peu
d’ici.
Je suis dans l’incapacité à
me décider sur quoi faire pendant mes deux semaines de vacances. Nous avions
prévu Constance et moi d’aller nous aérer quelques jours en Bretagne, mais
depuis quelques jours elle me dit qu’elle veut se reposer à Paris, qu’elle est
trop fatiguée, qu’elle n’a pas envie de bouger... Ce fond constamment dépressif
qu’elle affiche m’attriste et surtout m’exaspère de plus en plus. Confrontation
pénible et tendue. Que faire moi alors ? Rester à Paris moi aussi ?
J’ai beaucoup de choses à faire ici, c’est sûr, mais je sais aussi d’expérience
combien souvent on « tontonne » quand on reste à Paris dans ces
situations, je sais ce que seront mes dispersions, mes zappings internautiques,
je sais que tout ça me laissera dans le malaise, et puis surtout j’ai une telle
envie de campagne, d’espace, de nature. Y aller seul ? Ce n’est c’est pas
très motivant de partir seul, d’aller ouvrir une maison vide, de gérer pour soi
seul les matérialités du quotidien, et puis je crois que je n’ai pas envie de
me retrouver trop seul face à moi-même en ce moment. M’inscrire à un voyage in
extremis ? Je sais que ça se fait, on peut dégoter des places de dernière
minute mais je ne me sens pas non plus dans l’énergie pour initier un voyage.
Tenter d’organiser quelque chose avec un ami ou une amie ? Les gens sont
déjà organisés le plus souvent et pas si facile de construire quelquechose à la
dernière minute, tiens je pourrais essayer d’aller passer quatre/cinq jours
chez ma vieille amie des Landes… Oui ça ce serait génial. Je vais lui
téléphoner dès demain pour voir si elle peut m’accueillir, pas évident, c’est
devenu un peu plus compliqué chez elle aussi…
( Ecrit le 25 décembre au
matin )