Noël d'enfant, Noël d'antan
Hier dans ma rêverie autour
du temps de pré-fêtes sont revenus vers moi des souvenirs de mes Noëls
d’enfant. Je me suis souvenu que j’avais écrit là-dessus il y a une dizaine
d’années lorsque je m’étais attelé à la rédaction d’un texte autobiographique
évoquant enfance et jeunesse. J’ai remis le nez dedans du coup. J’ai ressorti
le passage en question. Bon c’est du recyclage un peu facile mais c’est bien
pratique, j’alimente le blog sans avoir à travailler, je vous donne du grain à
lire pour les jours à venir si des fois vous en aviez envie, je peux me
consacrer aux derniers préparatifs du Noël qui arrive. Et puis, en ramenant
tout ça du passé je donne à coup sûr certaines clefs, parmi d’autres, de mes
nostalgies d’aujourd'hui.
Donc le voici :
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D'abord
il y eut l'odeur…
Ma
soeur et moi, dans la chambre que nous partagions chez nos grands-parents
d'Annecy, étions déjà éveillés depuis un moment, attentifs à la lueur qui
perçait peu à peu à travers les volets et aux bruits de la rue, signes du jour
commençant.
"Je
le sens, je sens le sapin!"
Nous avons bondi ensemble de nos lits, ouverts la porte de la chambre.
Oui,
le sapin de Noël était là, dans le hall d'entrée de l'appartement, grande forme
dressée dans la pénombre et qui s'éclairait, s'éteignait au rythme du
clignotement de ses ampoules multicolores. L'air était embaumé de son odeur,
c'était la forêt dans la maison. Et nous retrouvions sur ses branches les
guirlandes entrelacées, les boules translucides, l'oiseau et le papillon de
verre filé, les petits personnages, lutins et bûcherons, et la figure plus
majestueuse d'un Père Noël tout blanc, qui trônait au centre, adossé au tronc,
dans sa grande houppelande laineuse parsemée de points brillants qui figuraient
la neige, avec sa longue barbe que nous aimions caresser du doigt. Et tout
autour de l'arbre, les cadeaux, à chacun destiné, dans leurs paquets en papier
décoré...
"Il
est passé, il est passé, c'est aujourd'hui..."
Les
jours précédents, comme tous les ans, nous avions fébrilement fait le décompte
des jours restants avant le matin tellement attendu. Nos parents, cette année,
pour tenter de s'assurer une plus longue tranquillité matinale, avaient réussi
à nous faire croire que nous n'étions encore que le 24 décembre. Et même moi,
le grand frère, m'y était laissé prendre...
Tard,
la veille, comme nous dormions, les adultes avaient été chercher le sapin caché
au garage, avaient installé silencieusement cadeaux et décorations puis célébré
entre eux, à leur façon, pendant que d'autres entonnaient les chants de la
Nativité, ce moment de fête autour d'une bouteille de vin précieux et d'un pot
du meilleur caviar, en évoquant les Noëls roumains, lorsque Maman était enfant
et qu'ils étaient jeunes, les grands froids et la neige infinie mêlant le ciel
à la plaine, les rivières gelées sur lesquelles on irait patiner et les
musiciens tsiganes qui dans la chaleur des maisons riches viendraient jouer
pour vous...
S'écoulait
alors cette belle journée de fête et de bonheur, lente et paisible, empreinte
pourtant d'un je ne sais quoi de mélancolique...
D'abord,
nous ouvrions avec frénésie nos paquets et manifestions notre enthousiasme
devant chaque cadeau déballé. Ils n'étaient pas tous regroupés autour de
l'arbre, il fallait chercher, et la plus grande joie était, lorsqu'on croyait
avoir tout découvert, de trouver encore quelquechose auquel on ne s'attendait
plus.
Nous
petit déjeunions rapidement puis aidions ma grand'mère dans la préparation du
repas, nous donnions la main surtout pour ce travail long et fastidieux
qu'était l'épluchage des marrons mais nous le faisions ensemble, femmes et
enfants, et c'était un moment précieux.
Ensuite
nous sortions avec Papa pendant que les femmes achevaient les préparatifs. Nous
allions au bord du lac, marchions et courions sur les pelouses du Paquier puis
jusqu'au canal et au Pont des Amours, nous nourrissions les cygnes et les
mouettes de pain dur, souvent le ciel était sombre, les montagnes noyées de
nuages neigeux mais parfois étincelaient de beaux ciels et même, certaines
années de froid précoce, il y avait un peu de neige et des plaques de glace
dans le jardin public sur lesquelles nous aimions glisser et s'accrochait aux
pontons désertés des loueurs de barque une amorce de banquise...
Ma
grand'mère, si douce, si calme, organisait tout, veillait à tout. Elle savait
et aimait recevoir. Tout était parfait dans les plus petits détails, le décor
de la table comme l'excellence de la chère. Dans cette maison, aux ressources
plus modestes que celles de mes autres grands-parents, on savait marquer avec
plus d'éclat et de luxe les moments de fête.
A
notre retour de promenade tout était prêt. La table était mise sur une grande
nappe blanche de Roumanie décorée de broderies aux entrelacs multicolores; les
cristaux et le service de belle porcelaine étincelaient; des bouquets odorants
de fleurs fraîches étaient disposés sur le buffet et sur les guéridons; et le
soleil me semblait-il éclairait tout cela. Pourtant il dû bien y avoir des
Noëls pluvieux!
Les
invités étaient arrivés entre-temps, peu nombreux, une ou deux tantes ou
vieilles cousines qui sinon auraient passé un Noël solitaire. Il y avait en
toujours l'inévitable Delphine, la soeur aînée de mon grand-père, une femme au
destin triste, qui ne s'était jamais mariée, avare et acariâtre, et qui
entretenait avec son frère des relations détestables. Elle ne sentait pas bon,
avait une ombre de moustache et, nous les enfants, ne l'approchions et ne
l'embrassions qu'à contrecœur. Nous disions du mal d'elle, mon grand-père en
rajoutait et ma grand'mère tentait de toute sa douceur de l'apaiser.
Le
repas commençait tard. Chacun avait à sa place, à côté de son assiette, une
petite figurine de Noël qu'il retrouvait avec plaisir d'année en année. Elles
ne sortaient qu'à cette occasion des boîtes à chaussure et des enveloppements
protecteurs de papier de soie où elles dormaient le reste du temps, elles
venaient de Roumanie elles aussi et elles étaient comme une marque rassurante
de la pérennité des choses et des gens.
Le
menu était toujours le même et personne n'aurait songé à en changer. Les oeufs
mimosas au crabe, la dinde aux marrons et la bûche au moka.
Le
repas s'étirait.
Au
café d'autres membres de la famille venaient, portaient des cadeaux et en
recevaient, restaient un moment pour échanger nouvelles et souhaits. Sur la fin
de l'après-midi quelques uns des adultes jouaient aux cartes. Ces vieilles
personnes affectionnaient le rami ou la belote, une cousine fort âgée, toute
petite femme sèche et ridée comme une vieille pomme, connue pour être confite
en dévotion, s'y montrait redoutablement passionnée, capable de sentiments peu
chrétiens à l'égard de ses adversaires et très mauvaise joueuse lorsqu'elle
perdait, capable de soutenir avec une absolue mauvaise foi des contrevérités
d'évidence. Delphine, qui ne jouait pas, restait immobile et muette dans son
fauteuil et fixait de son oeil torve tour à tour chacun des joueurs et nous
tous et son regard valait toutes les désapprobations tandis que ma grand'mère
déjà s'affairait, aidée d'une ou deux autres femmes, aux soins du débarrassage.
Les
invités partaient peu à peu.
La
soirée était paisible.
On
écoutait un peu de musique ce qui n'était pas chose courante, chez nous, à
cette époque. L'électrophone servait peu, uniquement dans des moments
particuliers comme celui-ci, mais alors c'était comme si des concertistes
étaient venus à nous en personne et tous nous écoutions dans le recueillement.
Et
j'étais surpris de voir alors qu'il suffisait de quelques accords langoureux ou
d'un glissando mélancolique de violon pour arracher des larmes à mon
grand-père, ce qui me semblait-il ne ressemblait pas à cet homme déjà vieux et
malade, au très mauvais caractère, plus souvent bougon que tendre.
Il
pleurait, sous la vague de ses souvenirs ravivés, sa jeunesse enfuie...
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Voilà
ce que j’ai écrit il y a presque douze ans…
Voilà
ce que j’ai eu plaisir à retrouver et à exhumer…
Voilà
ce que j’ai eu envie de vous donner en partage à vous mes lecteurs, un tout
petit cadeau qui ne passe pas par les boutiques et les caddys, un tout petit
cadeau mais qui part du cœur, en vous souhaitant pour les jours à venir des
moments simples, chaleureux et aimants, tout ce que je me souhaite à moi-même…
Bonnes
fêtes à tous.