L'intime s'invite
Il se passe ce phénomène
étrange, plutôt inattendu. La part intime de mon écriture devient de plus en
plus importante alors que je m’attendais au contraire. Je pensais qu’à mesure
que mon anonymat se fragiliserait, que je commencerai à connaître dans la
« vraie » vie des personnes connues dans le « virtuel »
(les guillemets s’imposent, le virtuel c’est de la vraie vie) j’aurais de plus
en plus de réserve à aborder les sujets intimes en particulier ceux qui
touchent au relationnel, or c’est le contraire qui se passe.
Á quoi cela tient-il ?
L’écriture chronique ou
compte-rendu me plait parce qu’elle me permet de faire pour moi des repères
pour le souvenir et que j’aime partager mes coups de cœur ou mes réflexions (et
je suis très heureux lorsque je fais découvrir et apprécier un livre ou un film
à quelqu'un ) mais elle est souvent lente, laborieuse, pas facile à construire,
parfois elle prend l’aspect d’un pensum, le plaisir est plus d’avoir écrit,
d’avoir produit que dans l’écriture elle-même. Ainsi en a-t-il été par exemple
de cette note sur Houllebecq commencée en Bretagne en lisant le livre et
peaufinée dimanche matin avec une certaine difficulté pour parvenir à me sentir
équilibré dans mon jugement.
L’écriture intime est difficile
aussi mais d’une toute autre façon, les mots viennent plus spontanément, il
s’agit de les mettre en forme, en cohérence. Il s’agit aussi de mettre un peu à
distance pour dire vrai sans dire trop précis ou trop impliquant pour des
autruis concernés. Il y a plus facilement de la jouissance dans le processus
même de l’écriture (mais pas autant toutefois que dans du fictionnel). C’est un
travail aussi mais un travail qui me travaille, qui fait bouger les lignes en
moi. C’est cette écriture qui crée le plus d’échos, qui me vaut le plus de
commentaires ou de mails privés qui marquent l’intérêt de mes lecteurs,
prolongent d’autant ma réflexion. Cette écriture se charge donc d’un enjeu
véritable par la communication qu’elle initie et par ce que celle-ci me
renvoie, par les relations allant au profond des intimités qu’elle peut créer.
Évidemment les ricochets ne
sont pas pour rien dans cette accentuation de la mise en jeu de l’intime (et je
me rends compte qu’il en est de même pour d’autres ricocheurs). S’engager dans
ce processus c’est aussi relâcher le contrôle, celui que l’on a pour soi même
et celui pour oser dire à autrui.
Je ne me sens plus
catastrophé à l’idée qu’une personne qui me connaît par ailleurs dans divers
cercles relationnels fasse le lien (à l’exception de quelqu'un de mon milieu
professionnel, mais après tout, même là, si j’y réfléchis, quelle importance,
je n’ai plus d’enjeu de carrière pour laquelle j’aurais besoin d’une
armure !). Je ne me sens plus paralysé à ce que quelqu'un puisse se dire
« ben ce gars là, il a telle histoire et telles petites histoires, il a
telle fragilité, telle névrose, j’aurais pas cru ». Et bien oui, c’est
comme ça, je suis comme ça, il n’y a rien de honteux à ça, c’est ma personne,
voilà, je l’assume, après tout elle ne vaut pas moins que mon personnage.
Alors bien sûr il y a le
hic. Mes proches, mes tout proches, ne me lisent pas. Mais c’est là pourtant, à
portée de clic. Rien n’empêche de lire. Ils liront, inévitablement, à un moment
ou un autre. Par moments c’est un peu de la dynamite ce que j’écris ! Des
correspondant(e)s me l’ont signalé en me disant « c’est courageux ce que
tu écris là ». C’est curieux, je ne ressens pas ça du tout comme du
courage. Comme un risque peut-être mais qui ne me demande pas de courage. Comme
une évidence.
Il y a ce paradoxe. Ces mots
là qui pourtant sont tout à fait moi s’invitent dans ma vie réelle comme une
tierce personne, comme une maîtresse qui serait bien plus exigeante, présente,
menaçante que toute dame d’hôtel de Bonne Rencontre. Mais curieusement ça ne me
terrifie plus. C’est comme ça. Advienne que pourra.